Publié le Mercredi 22 mars 2023 à 11h04.

« Il est rare de pouvoir croiser un médecin scolaire dans un établissement »

Entretien. Alors que la santé mentale des jeunes est un sujet d’alerte des professionnelEs de santé et de l’éducation, nous avons rencontré François Bertaud, psychologue scolaire en collège et lycée en Seine-Maritime, membre du SNES FSU.

Les équipes pédagogiques constatent que les jeunes sont de plus en plus en détresse. Cela s’exprime de différentes manières, soit en se mettant en danger, soit en mettant en danger les autres. Comment l’expliques-tu ? 

Sur le terrain, depuis le premier confinement et la crise sanitaire, le retour à l’école a été compliqué pour un certain nombre d’élèves au sortir de cette longue période de repli sur la famille. Les équipes éducatives sollicitent en effet beaucoup les psychologues de l’Éducation nationale sur les problématiques de mal-être psychologique qu’elles repèrent car les élèves sont plus angoisséEs, stresséEs, et le décrochage scolaire est plus important. Les médecins constatent une augmentation des consultations pour gestes et idées suicidaires. Santé publique France dans sa dernière étude de février 2023 tire la sonnette d’alarme montrant que depuis la crise sanitaire 1 jeune sur 5 présente un trouble dépressif ; la précarité économique des parents est un facteur aggravant. Dans un contexte de crise économique, de crise sociale, de crise environnementale, comment un jeune peut-il se projeter avec confiance dans notre société pour y trouver sa place ? Une étude consacrée à l’éco-anxiété des jeunes publiée dans The Lancet révèle notamment que pour 74 % des jeunes françaisEs interrogés, l’avenir est jugé effrayant.

Comment la communauté éducative peut-elle y répondre ? 

Les échanges au sein d’équipes pluriprofessionnelles au complet (chef d’établissement, CPE, AS, infirmierE, PsyEN, médecin) pour échanger régulièrement sur les situations des élèves en lien avec les enseignantEs est une première réponse.

La question de l’incertitude des adolescentEs face à l’avenir n’est pas nouvelle, mais aujourd’hui, le contexte environnemental et sanitaire vient peser sur cette anticipation par les jeunes de leur place dans le monde. Cette période particulière donne encore davantage de responsabilités à l’École pour aider les jeunes à franchir cette étape développementale majeure et aller vers plus d’autonomie et d’émancipation. Comment faire en sorte que les adolescentEs puissent s’inscrire dans la chaîne des générations, en découvrant les problèmes que les hommes et les femmes ont eu à résoudre et s’approprient les acquis culturels, scientifiques et techniques de l’humanité ? Cette perspective doit d’abord mobiliser les concepteurEs des programmes et les enseignantEs par le lien qu’ils peuvent souligner entre les enseignements et les questions théoriques et pratiques qu’il a fallu résoudre et donner ainsi un autre sens aux tâches scolaires. Les psychologues de l’Éducation nationale sont aussi particulièrement concernéEs, car chargéEs d’accompagner les élèves dans l’élaboration de leurs projets et dans la découverte des métiers. 

Quelles sont les conséquences de la réduction des postes de médecine scolaire et de psychologues ces dernières années ?

Il est rare de pouvoir croiser un médecin scolaire dans un établissement, les candidatEs ne se bousculent pas faute d’attractivité. Les psychologues de l’Éducation nationale ne sont pas assez nombreux en regard des besoins, le manque est encore plus flagrant pour les PsyEN (Éducation Développement Orientation) du second degré, dont le concours en 2023 ne couvrait qu’à peine 10 % des besoins en recrutement ! Mais il est aussi difficile d’avoir un rendez-vous rapide avec un psychologue dans un CMPP (centre médico-psycho-pédagogique), à la Maison des adolescents. Le secteur de la pédopsychiatrie publique est sinistré, laissé à l’abandon. Faute de professionnelEs suffisamment nombreux dans le secteur public, la prise en charge de la santé mentale de notre jeunesse devient un véritable chemin de croix pour les familles car ce gouvernement a fait le choix politique d’externaliser les prises en charge en santé mentale vers le privé qui n’est pas accessible à tous. 

Propos recueillis par Vincent