Publié le Jeudi 11 mai 2023 à 12h00.

États-Unis : grève des scénaristes pour la sécurité économique en réponse à la diffusion en continu

Quelque 11 500 scénaristes de l’industrie du divertissement (télévision, câble, cinéma et streaming), basés pour la plupart à Los Angeles et à New York, ont décidé le 1er Mai de se mettre en grève pour réclamer des hausses de leur rémunération et une plus grande sécurité de l’emploi, la première grève de ce type depuis quinze ans.

Il pourrait également s’agir de la première grève concernant l’intelligence artificielle (IA), dont les scénaristes craignent qu’elle ne les supplante. Le vote sur la grève a été remarquablement fort, avec 79 % de participation et 98 % de vote en faveur de la grève.

Il s’agit d’une grève au cœur d’une industrie rentable au chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dollars. Amazon compte 200 millions d’abonnéEs aux États-Unis et à l’étranger, Netflix 232 millions. L’organisation qui représente les scénaristes, la Writers Guild of America (WGA) négocie avec l’organisation patronale, l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMTPT), qui représente les studios de cinéma bloqués par la grève tels que Disney, Warner Brothers, NBCUniversal, Paramount et Sony, ainsi que des sociétés de diffusion en continu (streaming) comme Amazon, Netflix et Apple.

Pour comprendre la grève, il faut savoir comment les sociétés utilisent les scénaristes qu’elles embauchent. Les scénaristes créent pratiquement tout ce que nous voyons à l’écran. Chaque série a un showrunner, un producteur-scénariste, qui a la responsabilité créative et administrative de la série. Le showrunner s’entoure d’un groupe de scénaristes qui se réunissent pour écrire le scénario. Lorsque la série est terminée, ces scénaristes doivent chercher du travail ailleurs. Un salaire minimum par épisode constitue la base des revenus des scénaristes, et la WGA insiste pour qu’il soit relevé.

Diffusion en continu et baisse des emplois et des revenus

La grève a été lancée parce que les changements dans l’industrie du divertissement, en particulier le développement de services de diffusion en continu tels que Netflix et Amazon, ont entraîné une diminution des emplois et des revenus. Le contrat antérieur signé par le syndicat avait été rédigé pour l’industrie de la télédiffusion, du câble et du cinéma, dans un contexte différent de celui d’aujourd’hui. Autrefois, une série télévisée typique s’étendait de septembre à mai et comptait de 22 à 25 épisodes, alors qu’actuellement les séries diffusées en continu sur Netflix ou Amazon peuvent ne compter que huit ou dix épisodes. Les scénaristes de télévision étant payés à l’épisode, le changement de format a réduit leur rémunération et augmenté l’insécurité. Alors que les bénéfices des studios ont augmenté de 39 % depuis le dernier contrat, les salaires des scénaristes ont baissé de 4 %.

Faire bénéficier les scénaristes du succès

La WGA souhaite également augmenter les rémunérations résiduelles, similaires à des droits d’auteur, afin que les scénaristes bénéficient également du succès d’une émission. L’AMPTP affirme que les scénaristes ont reçu une augmentation de 46 % des droits résiduels de diffusion en continu dans leur dernier contrat, qui n’a commencé à s’appliquer que l’année dernière. Mais les droits résiduels sur les rediffusions, qui représentaient autrefois une bonne partie des revenus des scénaristes, ne fonctionnent plus, car les rediffusions sont désormais souvent réalisées par des services de streaming qui ne partagent pas les données relatives aux téléspectateurs, de sorte que les scénaristes reçoivent beaucoup moins de droits résiduels et des paiements moins importants. La WGA veut donc plus d’argent dès le départ.

La WGA souhaite également protéger l’emploi des scénaristes et leur donner la possibilité de développer leur compétence en augmentant la taille des équipes de rédaction à six personnes, dont quatre doivent être des scénaristes-producteurs et d’autres peuvent être des scénaristes débutantEs. L’AMTPT a jusqu’à présent rejeté cette proposition. La crainte que l’IA n’écrive les scénarios, une question mise sur la table par la WGA, plane sur cette grève.

Un fort impact en 1988 et 2007-2008

La grève affectera non seulement les 11 500 scénaristes, mais aussi des milliers d’autres travailleurEs du secteur et des dizaines de millions de téléspectateurs aux États-Unis et dans le monde entier. La dernière grève de la WGA, en 2007-2008, a duré 100 jours, tandis que la plus longue, en 1988, a duré 153 jours. Lorsque les scénaristes ont fait grève dans le passé, les sociétés se sont tournées vers les émissions de télé-réalité, ont élargi les talk-shows et les informations, se sont tournées vers les rediffusions d’anciennes émissions, comme elles le feront à nouveau. Des studios comme Warner Brothers Discovery ont stocké des scénarios, tandis que Netflix s’appuiera davantage que ses concurrents sur des films réalisés à l’étranger.

Les scénaristes sont sur les piquets de grève et beaucoup de choses sont en jeu, non seulement pour eux, mais aussi pour le syndicat des réalisateurs, le DGA, et le syndicat des acteurs, le SAG, qui doivent tous deux négocier de nouveaux contrats dans le courant de l’année. Le pouvoir est dans le stylo, et les scénaristes ont déposé le leur.