Publié le Mercredi 9 juin 2021 à 12h53.

Israël : Bibi, c’est fini ?

Suite à l’annonce de la constitution d’une majorité de gouvernement en Israël, nous publions le point de vue de l’historien Dominique Vidal.

Le gouvernement annoncé, s’il se voit voter la confiance par la Knesset, n’est-il pas surréaliste au point de risquer d’exploser au premier obstacle sérieux, redonnant éventuellement sa chance à Netanyahou ? Car cet attelage à deux têtes successives (d’abord Naftali Bennet, puis Yaïr Lapid) va des islamistes de Raam (Mansour Abbas) aux ultra-­nationalistes de À droite (Bennett), du parti sioniste de gauche Meretz (Nitzan Horowitz) au Nouvel Espoir de l’ex-likoudnik Gideon Sa’ar, des Travaillistes (Merav Michaeli) au parti russe Israël notre maison (Avigdor Liberman), sans oublier le « centriste » Il y a un futur (Lapid) et les restes du parti Bleu Blanc.

Un gouvernement très à droite

[Autre question] : à supposer que cette coalition prenne réellement corps, sa politique diffèrera-t-elle vraiment de celle de Netanyahou ? Certes, le quatuor qui devrait conduire ce gouvernement – Bennett, Lapid, Sa’ar et Liberman – tiendra nécessairement compte de la présence en son sein de la « gauche sioniste », sans laquelle il ne disposerait pas d’une majorité. Il a même déjà dû promettre de quoi s’attacher le parti Raam. Mais il serait plus qu’étonnant que les islamistes, les travaillistes et même le Meretz s’opposent frontalement aux « têtes » du cabinet, à supposer qu’ils le veuillent, au risque de faire éclater la combinazione et de permettre ainsi le retour de… Netanyahou.

Bref, nous avons affaire à un gouvernement qui penche nettement à droite, même s’il a le mérite – espérons-le au moins – de « dégager » Netanyahou, condition sine qua non de toute évolution. Bennett, Liberman et Sa’ar sont idéologiquement et politiquement des hommes de droite, voire, pour le premier, d’extrême droite – et que dire d’Ayelet Shaked, qui posa un jour à côté d’un flacon de parfum intitulé « Fascisme » ? Leur politique palestinienne ne diffère pas de celle du gouvernement sortant – À droite est un parti annexionniste et Israël notre maison une formation transfériste1, et tous deux promettent aux colons qu’ils n’arrêteraient pas… la colonisation. Ils ont en outre en commun avec le Likoud une vision néolibérale de l’économie et de la société. Ils pourront même poursuivre ces politiques « extérieure » et intérieure en profitant d’une certaine virginité retrouvée. Certains se réclament volontiers du mouvement qui, depuis l’été dernier, a rassemblé des foules, massives mais hétéroclites, car unies par une seule volonté : en finir avec Netanyahou ?

Des raisons d’espérer ?

Seul changement vraisemblable : cette équipe sera moins sensible au chantage des partis ultra-­orthodoxes qui, pour un temps en tout cas, n’en feront pas partie. Du coup, les « laïques » – que sont non seulement Horowitz et Michaeli, mais aussi Lapid et Liberman – pourraient pousser la coalition à une meilleure prise en compte des aspirations majoritaires à un mariage et un divorce civils, au fonctionnement des transports publics le samedi, à un certain contrôle des secteurs d’enseignement religieux – bref à une prise de distance de l’État vis-à-vis de la Synagogue.

Autre (timide) espoir à gauche en Israël : que le changement d’équipe permette de donner un coup d’arrêt à l’évolution autoritaire des derniers gouvernements. Quid de la loi « État-nation du peuple juif » et de l’apartheid qu’elle officialise ? Quid de l’arsenal liberticide voté par la Knesset ? Quid des menaces contre le statut et les compétences de la Cour suprême ? Vu le rapport des forces global et au sein même de la coalition, un véritable renversement de tendance supposerait toutefois une mobilisation populaire pour la préservation de ce qui reste de démocratie, après quinze années de règne de Netanyahou.

Comment, d’ailleurs, envisager une rupture d’ensemble franche et nette avec les caps choisis par les gouvernements antérieurs ? Quatre élections successives ont confirmé que, si une (courte) majorité d’Israéliens ne voulait plus de Netanyahou, une (large) majorité se situait toujours à droite, à l’extrême droite et dans le camp ultra-orthodoxe : au total 72 députés sur 120. Ajoutons que, sur la question palestinienne, ni la « gauche » sioniste – sauf le Meretz – ni les centristes n’affichent de perspective claire, rejetant certes l’annexion mais sans pour autant prôner la création d’un véritable État palestinien.

Version intégrale sur le blog Mediapart de l’auteur.

  • 1. Les « transféristes » prônent le « transfert » (c’est-à-dire l’expulsion) des PalestinienEs d’Israël.