Publié le Vendredi 16 juillet 2021 à 16h35.

Les PalestinienEs d’Israël face à l’apartheid

Au début de l’année 2021, l’ONG israélienne B’tselem publiait un rapport intitulé « This is Apartheid » (« C’est l’apartheid »). Cette publication, établie par une ONG des droits humains réputée, a fait du bruit, non seulement parce qu’elle qualifie, preuves à l’appui, le régime israélien de régime d’apartheid, mais aussi parce qu’elle y inclut la situation des 1,8 million de PalestinienEs vivant en Israël (plus de 20 % de la population), faisant voler en éclats le mythe de la « seule démocratie du Moyen-Orient ». B’tselem confirme dans ce rapport ce que le député palestinien à la Knesset Ahmad Tibi déclarait il y a quelques années : « Israël est un État démocratique pour les juifs, et un État juif pour les Palestiniens ». Nous publions ci-dessous les parties du rapport de B’Tselem concernant les PalestinienEs d’Israël (mal-nommés « Arabes israéliens ») et les discriminations structurelles auxquelles ils et elles sont confrontés.

Plus de 14 millions de personnes, dont à peu près la moitié sont juives et l’autre moitié palestiniennes, vivent entre le Jourdain et la Méditerranée sous un seul et même régime. Dans le discours public, politique, juridique et médiatique, la perception courante celle de deux régimes séparés opérant côte à côte dans cette zone, séparés par la Ligne verte. Le premier régime, à l’intérieur des frontières de l’État souverain d’Israël, est une démocratie permanente avec une population d’environ 9 millions de personnes, tous citoyens israéliens. Le second régime, dans les territoires dont Israël s’est emparé en 1967, et dont le statut final doit supposément être déterminé dans de futures négociations, est une occupation militaire temporaire imposée sur quelque cinq millions de sujets palestiniens. Au cours du temps, cette distinction entre deux régimes s’est de plus en plus éloignée de la réalité. Cette situation existe depuis plus de 50 ans — deux fois plus longtemps que l’État d’Israël a existé sans celle-ci. Des centaines de milliers de colons juifs résident maintenant dans des colonies permanentes à l’est de la Ligne verte, vivant comme s’ils étaient à l’ouest. Jérusalem-Est a été officiellement annexée au territoire souverain d’Israël et la Cisjordanie a été annexée en pratique. Plus important encore, la distinction obscurcit le fait que la région entière entre la Méditerranée et le Jourdain est organisée selon un unique principe : faire progresser et renforcer la suprématie d’un groupe — les Juifs — sur un autre — les Palestiniens. Tout ceci conduit à la conclusion que ce ne sont pas là deux régimes parallèles dont le principe suprémaciste se trouverait, par hasard, être le même, mais bien un régime, gouvernant la zone entière et les gens qui y vivent, sur la base d’un seul principe d’organisation unique.

Lois et politiques discriminatoires

À l’intérieur de son territoire souverain, Israël a promulgué des lois discriminatoires, et tout particulièrement la Loi sur la propriété des absents, autorisant à exproprier de vastes parcelles de terres détenues par des Palestiniens, y compris des millions de dunams dans des communautés dont les résidents ont été expulsés ou ont fui en 1948 et ont été empêchés d’y retourner. Israël a aussi réduit de manière importante les zones désignées pour les communautés et les conseils locaux palestiniens, qui ont maintenant accès à moins de 3 % de la surface totale du pays. La plupart des terres désignées sont déjà saturées de constructions. En conséquence, plus de 90 % des terres dans le territoire souverain d’Israël sont maintenant sous le contrôle de l’État. Israël a utilisé ces terres pour construire des centaines de communautés pour les citoyens juifs — et pas une seule pour les citoyens palestiniens. Il y a une seule exception : une poignée de villes et de villages construits pour concentrer la population bédouine, qui a été dépouillée de la plupart de ses droits de propriété. La majeure partie des terres sur lesquelles les Bédouins vivaient a été expropriée et enregistrée comme terre domaniale d’État. Beaucoup de communautés bédouines ont été définies comme « non-reconnues » et leurs résidents comme « envahisseurs ». Sur des terres historiquement occupées par des Bédouins, Israël a bâti des communautés exclusivement pour les Juifs. Le régime israélien restreint sévèrement la construction et le développement dans le peu de terres qui reste aux communautés palestiniennes à l’intérieur de son territoire souverain. Il s’abstient aussi de préparer des plans d’urbanisation qui reflètent les besoins de la population, et garde les zones de juridiction de ces communautés virtuellement inchangées en dépit d’un accroissement de la population. Le résultat est un ensemble de petites enclaves surpeuplées où les résidents n’ont d’autre choix que de construire sans permis. Israël a aussi voté une loi permettant aux communautés avec des comités d’admission, qui se comptent par centaines dans tout le pays, de rejeter des candidats palestiniens pour raison d’«incompatibilité culturelle ». En pratique, cela empêche les citoyens palestiniens de vivre dans des communautés conçues pour les Juifs. Officiellement, tout citoyen israélien peut vivre dans n’importe laquelle des municipalités du pays ; en pratique, 10 % seulement des citoyens palestiniens le font. Ils sont alors généralement relégués dans des quartiers séparés, à cause du manque de services éducatifs, religieux ou autres, du coût prohibitif d’acheter une maison dans d’autres parties de la ville ou des pratiques discriminatoires dans les ventes de terrains et de maisons.

Blocage du regroupement familial

Les Palestiniens vivant dans d’autres pays ne peuvent immigrer vers la région située entre la Méditerranée et le Jourdain, même si eux-mêmes, leurs parents ou leurs grands-parents y sont nés et y ont vécu. La seule façon dont les Palestiniens peuvent immigrer vers des zones contrôlées par Israël est d’épouser une Palestinienne ou un Palestinien qui y vit déjà — comme citoyen, résident ou sujet —, tout en remplissant une série de conditions et en recevant l’approbation d’Israël. Israël n’empêche pas seulement l’immigration palestinienne mais bloque aussi le déménagement palestinien entre les zones, si le déplacement « améliore » son statut aux yeux du régime. Par exemple, des citoyens palestiniens d’Israël ou des résidents de Jérusalem-Est peuvent facilement déménager en Cisjordanie (bien qu’ils risquent leurs droits et leur statut en le faisant). Les Palestiniens des Territoires occupés ne peuvent pas obtenir la citoyenneté israélienne et déménager vers le territoire où Israël a la souveraineté, sauf dans de très rares occasions, qui dépendent de l’approbation des responsables israéliens. La politique d’Israël sur le regroupement familial illustre ce principe. Pendant des années, le régime a placé de nombreux obstacles devant les familles dans lesquelles chaque conjoint vit dans une unité géographique différente. Au cours du temps, ceci a gêné et souvent empêché les Palestiniens épousant un Palestinien ou une Palestinienne d’une autre unité d’acquérir le statut de cette unité. En conséquence, des dizaines de milliers de familles n’ont pas pu vivre ensemble. Quand l’un des époux est résident de la Bande de Gaza, Israël autorise à la famille à y vivre, mais si l’autre conjoint est résident de Cisjordanie, Israël exige que les deux déménagent de manière permanente à Gaza. En 2003, la Knesset a voté une Ordonnance temporaire (encore en vigueur) interdisant la délivrance de la citoyenneté israélienne ou de la résidence permanente aux Palestiniens des Territoires occupés qui épousent des Israéliens ou Israéliennes — contrairement aux citoyens d’autres pays. Dans des cas exceptionnels approuvés par le ministre de l’Intérieur, des Palestiniens de Cisjordanie qui épousent des Israéliens ou Israéliennes peuvent se voir accorder le statut en Israël — mais uniquement de façon temporaire et sans accès aux avantages sociaux.

« État-nation du peuple juif »

Comme leurs homologues juifs, les citoyens palestiniens d’Israël peuvent entreprendre une action politique pour promouvoir leurs intérêts, par exemple voter ou être candidat à une fonction publique. Ils peuvent élire des représentants, établir des partis ou rejoindre des partis existants. Cela dit, les élus palestiniens sont continuellement vilipendés — un sentiment propagé par des personnalités politiques clés – et le droit des citoyens palestiniens à la participation politique est constamment attaqué. Et la participation politique englobe plus de choses que le vote ou la candidature à une fonction publique. Israël dénie aussi aux Palestiniens des droits politiques comme la liberté de parole et la liberté d’association. Ces droits permettent aux individus de critiquer des régimes, de manifester contre des politiques, de former des associations pour faire avancer leurs idées et plus généralement de travailler à promouvoir le changement social et politique. Une kyrielle de lois, comme la loi sur le boycott et la loi sur la Nakba, a limité la liberté des Israéliens à critiquer les politiques liées aux Palestiniens dans toute la région.

La loi fondamentale de l’État-nation, promulguée en 2018, enracine le droit du peuple juif à l’auto-détermination à l’exclusion de tous les autres. Elle établit que distinguer les Juifs en Israël (et partout dans le monde) des non-Juifs est fondamental et légitime. Sur la base de cette distinction, la loi permet la discrimination institutionnalisée en faveur des Juifs dans l’implantation, la domiciliation, le développement des terres, la citoyenneté, la langue et la culture. Il est vrai que le régime israélien a largement suivi ces principes auparavant. Mais maintenant, la suprématie juive est inscrite dans la loi fondamentale, ce qui en fait un principe constitutionnel contraignant — contrairement à la loi ordinaire ou aux pratiques des autorités qui pouvaient être remises en question. Cela signale à toutes les institutions d’État, non seulement qu’elles peuvent, mais qu’elles doivent, promouvoir la suprématie juive dans la région entière sous contrôle israélien.