Publié le Jeudi 22 septembre 2022 à 13h00.

Les Russes ne croiront pas éternellement les contes de fées officiels

Les mensonges de l’État russe sur la guerre en Ukraine commencent à être de plus en plus visibles, y compris en Russie.

Il y a une scène remarquable dans le film Kill the Dragons, réalisé par Mark Zakharov, d’après la pièce d’Evgeny Schwartz. Il s’agit d’un combat entre un dragon à trois têtes, qui a conquis une ville, et le chevalier Lancelot. Malgré l’interdiction officielle, la bataille est suivie par de nombreux habitants de la ville et, bien sûr, par le bourgmestre et ses sbires de l’armée. Les soldats expliquent au bourgmestre : « Les mauvaises langues disent que le dragon a perdu une de ses têtes. » « De quoi parlez-vous ? » demande le bourgmestre. « Le dragon a exempté une de ses têtes du service militaire pour des raisons de santé. » « Vous voulez dire, pour suivre ses rêves », répondent les militaires.

Les troupes russes repoussées

Je me suis souvenu de cette réponse lorsque j’ai lu sur Internet l’explication du ministère de la Défense de la Fédération de Russie sur ce qui, selon nos propres généraux, s’est passé dans la région de Kharkiv le 10 septembre. Selon plusieurs chaînes Telegram et les « correspondants militaires » ukrainiens et russes, après moins de cinq jours de combats, les troupes russes ont été repoussées et les forces armées ukrainiennes ont occupé l’immense zone, désormais ouverte – environ 2 000 kilomètres carrés. Cela inclut des villes d’importance stratégique comme Izyum, Balakleya et Kupyansk. Les territoires pour lesquels l’armée russe s’est battue pendant trois mois, versant le sang pour avancer seulement de quelques kilomètres par jour, ont été abandonnés. De nombreux équipements – entrepôts de munitions, de carburants et de lubrifiants – ont également été abandonnés. Sont laissés à la merci du destin les personnes qui ont collaboré avec les administrations pro-russes, les enseignants et les médecins qui sont allés en Russie pour améliorer leurs compétences, ou les citoyens ordinaires qui ont réussi à obtenir des passeports russes. Tous vont maintenant se retrouver (ou sont en train de se retrouver) dans des camps de « filtration » ukrainiens. Hélas, dans de telles circonstances, cela arrive toujours : ceux qui ont collaboré avec l’ennemi sont découverts.

Des réactions révélatrices

La situation n’est pas simple. Même un ultra-patriote tel que [le journaliste et blogueur] Yuriy Podolyaka (qui n’a pas encore été déclaré agent étranger) affirme qu’il s’agit d’une défaite dans la bataille pour la partie orientale de la région de Kharkiv. Les prétendus « correspondants militaires » crient à la « catastrophe ». Dans ce contexte, le ministère de la Défense de la Fédération de Russie a maintenu un très long et angoissant silence, qui a chauffé le public à blanc, puis a soudainement publié la déclaration suivante : « Une opération a été menée pour écourter la présence et organiser le transfert des troupes d’Izyum-Balakley sur le territoire de la République populaire de Donetsk. » Eh bien ! Je n’aurais jamais cru que ces gens se souviennent manifestement de la scène du conte de Schwartz, ou du moins sont des fans du film de Zakharov, si je n’avais pas vu moi-même les visages des généraux qui s’expriment à l’écran.

La réaction des hommes politiques de premier plan est également révélatrice. Le président (qui, soit dit en passant, est le commandant en chef selon la Constitution) a inauguré une grande roue à Moscou et a visité une salle de boxe peinte avec des couleurs rappelant de manière suspecte le drapeau ukrainien. Le soir, à Moscou, les feux d’artifice ont coïncidé avec la prise de contrôle, à des centaines de kilomètres au sud, par les forces armées ukrainiennes de plusieurs villes de la région de Kharkiv. Seuls les paresseux n’ont pas souligné cette coïncidence sur Internet.

La fin du mythe du plan astucieux

Les plus hauts responsables de l’État n’ont pas dit un mot sur ce qui s’est passé dans l’est de l’Ukraine. Le peuple, excité par les déclarations des « Z-patriotes » sur la catastrophe, est censé se contenter des alibis peu convaincants du ministère de la Défense.

En bref, il y a eu un « retrait de la deuxième tête du dragon », et, bien sûr, « pour ses propres raisons ». Je ne sais pas si cela signifie que nous allons assister à un changement dans « l’opération militaire spéciale » ou que l’alternance d’attaques et de contre-attaques va se poursuivre, transformant l’opération en une opération prolongée. Laissons les analystes militaires en juger. Les experts politiques sont clairs sur une autre chose : les autorités n’ont ni le langage ni la compréhension nécessaires pour parler de cette réalité qui change rapidement. Le mythe du plan astucieux, avec une prétendue maîtrise des événements du dernier semestre, semble avoir été définitivement dissipé ; maintenant, plus personne ne croit qu’une telle chose existe, même parmi les ultra-patriotes officiels les plus ardents. La machine de propagande ne sera bientôt plus en mesure de contrôler les masses.

Version intégrale (en anglais) sur russiandissent.substack.com/