Publié le Dimanche 26 juin 2022 à 01h50.

Renforcer la dynamique unitaire, y défendre nos orientations

Les résultats des élections législatives confirment la tendance exprimée, lors de la présidentielle, de la constitution de trois blocs incarnant l’état de la lutte des classes. La crise est profonde, à nous de nous orienter pour la résoudre dans notre sens.

« Les déplacements qui se sont marqués ont, pour nous, de l’importance non pas en eux-mêmes, mais seulement en tant que symptômes de changements dans la conscience des masses. Ils montrent que le centre petit bourgeois a déjà commencé à fondre en faveur des deux camps extrêmes. Cela veut dire que les restes du régime parlementaire vont être rongés de plus en plus ; les camps extrêmes vont croître ; les heurts entre eux approchent. Il n’est pas difficile de comprendre que ce processus est absolument inévitable. » Ce passage de Trotsky dans Où va la France ? en 1934 résonne avec la situation actuelle. On peut se rassurer en se focalisant sur ce qui est différent, mais les dynamiques générales sont clairement similaires.

 

Les pôles se solidifient

L’extrême droite réalise un score élevé (24,1 % au premier tour). Elle entre massivement à l’Assemblée, y aura des dizaines de députéEs, des centaines d’attachéEs parlementaires et de permanents, des dizaines de millions d’euros pour construire son appareil. Si elle a encore peu de bandes violentes en son sein, elle en possède bien autour de Reconquête et au sein de la police et l’armée. D’ailleurs, il n’y a pas de hasard à la recrudescence des violences policières depuis la présidentielle, ni à ce que des policiers soient élus députés RN, ainsi que des individus comme Frédéric Boccaletti, fondateur d’une librairie proposant des ouvrages négationnistes et condamné dans les années 2000 à un an de prison dont six mois fermes pour « violence en réunion avec armes »…

À gauche, comme aux élections de 1932, on ne peut pas réellement parler d’extrême, il n’y a pas de courant anticapitaliste qui se dégage, un simple mouvement antilibéral, opposé à Macron. Mais force est de constater que le caractère de classe du vote de la présidentielle s’est confirmé aux législatives, avec des victoires – dont quatre dès le premier tour – dans les quartiers populaires. D’ailleurs, au premier tour, la NUPES obtient 34 % et 28 % des voix auprès des électeurs dont les revenus sont respectivement inférieurs à 1250 € et entre 1250 et 2000 euros, 27 % chez les salariéEs du privé, 33% dans le public, 30% chez les chômeurs/ses. Suivie plus ou moins de près par le RN, qui fait en revanche le plein des voix dans la catégorie des ouvrierEs qui sont allés voter (18% pour la NUPES, 45 pour le RN1). Il est à noter que l’électorat de Mélenchon est celui qui s’est le plus abstenu à la présidentielle, ce qui tend à prouver que, si le vote à gauche n’est pas un raz-de-marée, il contribue à la reconstruction de la conscience de classe et à la possibilité de défendre ses intérêts.

Enfin, le vote Macron confirme le phénomène de bonapartisme. Avec des scores très faibles, une base sociale limitée, Ensemble ! s’appuie sur le système particulièrement antidémocratique du scrutin majoritaire et sur le découpage des circonscriptions pour se positionner comme première force. La droite, au total, recueille 40,3 % des voix, en étant fortement divisée entre LR et Ensemble !. On a trop souvent analysé le courant de Macron comme étant seulement celui de la finance, de la grande bourgeoisie. L’analyse du vote permet de voir qu’« Ensemble ! » n’est majoritaire que chez les plus de 60 ans, chez les personnes dont les revenus sont supérieurs à 2 000 euros, et très majoritaires chez les électeurs/rices qui travaillent à leur compte. Le support social de ce vote est donc la frange de la population qui souhaite la conservation du système en l’état, ce qui est de plus en plus une utopie au regard de la crise multidimensionnelle que nous traversons.

Les scores de l’extrême gauche sont très faibles. Pour ce qui concerne le NPA, à part dans la deuxième circonscription du Rhône, où la candidature de Raphaël Arnault et Mathilde Millat, soutenue par les militantEs LFI et du PCF, a obtenu 6,8 % des voix après s’être positionnée comme étant la « vraie candidature NUPES » alors que la candidature NUPES était ce qui se fait de plus opportuniste, les résultats sont autour de 0,5 % partout. Lutte ouvrière a obtenu des scores un peu meilleurs, avec une moyenne de 1 %, avec quelques scores supérieurs à 2 % dans des circonscriptions ouvrières. Mais dans l’ensemble, ces scores restent très bas, sont assez uniformes socialement, ne révèlent pas véritablement une implantation dans le prolétariat2. Ces scores, cohérents avec les scores très faibles de la présidentielle, montrent globalement le très faible espace politique qui existe à gauche de la NUPES, la grande difficulté à être entendus et, si on les lie avec le sondage révélant que Philippe Poutou est la deuxième personnalité des électeurs de gauche, loin derrière Mélenchon, la volonté de la part des électeurs/trices que les révolutionnaires se situent à l’intérieur de l’unité. Un signe que c’est bien la gauche qui est perçue comme le point d’appui pour rompre avec les politiques libérales – même le PS et les Verts ! – au contraire de la période où toutes ses nuances participaient au gouvernement Jospin.  L’expérience de gestion des affaires de la bourgeoisie semble en partie oubliée.

 

Un gouvernement très instable

Les élections de 2022 sont une accélération des tendances déjà à l’œuvre en 2017, qui voient les trois blocs se constituer, et la prochaine période ne peut que renforcer cette dynamique. Les déplacements d’un bloc à l’autre sont limités aux couches qui basculent d’un « extrême » à l’autre pour exprimer leur colère, parfois d’une façon autoritaire, raciste et individualiste avec l’extrême droite, parfois d’une façon solidaire avec la gauche. Un sondage Harris montre ainsi que les électeurs ayant voté au premier tour pour une force non représentée au second s’abstiennent majoritairement lors de ce dernier3.

Mais le centre s’affaiblit tendanciellement, et il n’est sauvé que par le caractère particulièrement antidémocratique de la Ve République, qui permet à un courant qui n’a recueilli que 12,5 % des voix des inscrits d’être la force principale à l’Assemblée nationale. L’abstention est de 53 % au premier tour, 54 % au second et, si on ne peut pas en déduire grande chose sur le plan des idées, elle révèle nécessairement soit une passivité (« Je ne sais pas quoi choisir, je laisse d’autres le faire à ma place ») soit un rejet des institutions, sans qu’on puisse dire dans quel sens, soit une défiance progressiste soit un rejet – dont on sait qu’il progresse – de la démocratie.

Sans majorité absolue, Macron et Borne seront en difficulté pour gouverner. Premièrement sur le plan institutionnel : il faudra à chaque fois obtenir une alliance avec Les Républicains pour faire passer tel ou tel texte, donc donner des garanties à un groupe qui refuse actuellement de participer à une coalition gouvernementale pour affirmer un profil encore plus antisocial que le courant présidentiel. La politique du gouvernement sera sans doute assez rapidement particulièrement violente.

Deuxièmement sur le plan social. L’illégitimité du pouvoir est très forte, au vu de l’abstention, des scores très limités, de la majorité étriquée. Chaque mesure forte sera donc contestée, dans l’Assemblée et dans la rue. Hélas le résultat des élections nous confirme que cette contestation ne sera pas mécaniquement du côté du mouvement ouvrier, qu’elle pourra également être du côté de l’extrême droite.

L’intervention de Macron le mercredi 22 juin montre la grande fragilité du pouvoir : il n’a rien à proposer et demande à toutes les forces de se positionner par rapport à la participation à une majorité parlementaire, voire un gouvernement. Que ferait-il si Marine Le Pen lui disait sa disponibilité à construire une majorité ? Il n’a écarté aucune possibilité, ce qui est particulièrement inquiétant. Les nazis en Allemagne ont été appelés pour former un gouvernement alors qu’ils étaient minoritaires mais s’appuyaient sur la violence dans la rue. On oublie souvent qu’il y a une autonomie entre la nature de classe d’un régime et la forme politique que prend cette domination, en fonction de la nécessité de la classe dominante d’intégrer les classes opprimées… ou au contraire de les combattre de façon radicale. Nous sommes à l’avant-veille de tels choix.

 

Quelle politique pour les révolutionnaires ?

Les résultats valident donc globalement le choix du NPA de soutenir, en règle générale, les candidatEs de la NUPES. Dans cette situation où les conflits de classe s’aiguisent, notre objectif doit être de contribuer, avec nos faibles moyens et en conservant notre indépendance stratégique et organisationnelle, à la solidification du bloc de classe.

Il faut le faire sans illusions et en tentant d’anticiper les prochaines étapes. Sans illusion parce que les réformistes ne se refont pas, ils sont capables des propositions institutionnelles les plus improbables. Ainsi, Fabien Roussel, a indiqué : « Nous avons déjà participé à un gouvernement d’union nationale en 1945, ce n’est pas quelque chose qui nous choque de participer, avec d’autres, à la reconstruction de la France [...] Mais tout dépend du projet. Il faut un projet de haut niveau, pas de la petite politique avec des petits chèques. » Il a dû faire machine arrière dès le lendemain.

De plus, comme c’était prévisible, Mélenchon n’est pas Premier ministre, la défaite aux législatives risque de tirer vers la droite toutes les composantes de la NUPES, de les convaincre qu’il faut surtout préparer les prochaines élections et organiser le travail parlementaire pour tenir des positions institutionnelles. Rappelons la dialectique des conquêtes partielle qui les travaille en permanence : « Cette dialectique se manifeste dans les comportements de ceux qui subordonnent la poursuite et la victoire des luttes ouvrières pour parvenir à la conquête du pouvoir dans les pays capitalistes à la seule défense des organisations ouvrières existantes » (Ernest Mandel). Mais sans oublier, avec Trotsky, que le problème est réel : « Celui qui ne sait pas défendre les conquêtes existantes n’en fera jamais de nouvelles ».

De plus, PCF, EÉLV et PS ont indiqué dès le lendemain de l’élection ne pas vouloir prolonger l’unité, chacun voulant pouvoir gérer sa propre politique vis-à-vis du gouvernement, des votes à l’Assemblée, et aucune ne voulant maintenir un lien entre les militantEs des différentes forces.

Mais une contre-tendance existera nécessairement : lorsque le gouvernement commencera à attaquer les classes populaires, la petite confiance et les liens collectifs accumulés pendant la campagne seront des points d’appui. De plus, le travail parlementaire ne portera pas de fruits concrets et une petite impatience s’exprimera de la part de la base pour mettre en œuvre le programme pour lequel on s’est battu. Mélenchon exprime pour l’instant son envie de voire Élisabeth Borne passer devant l’Assemblée pour un vote de confiance de, mais il faudra bien expliquer comment obtenir la retraite à 60 ans et une augmentation des salaires.

Pour les révolutionnaires, il est absolument nécessaire de renforcer ces tendances. « C’est la tâche du parti révolutionnaire que d’opérer la jonction entre les “idées justes” et le mouvement ouvrier de masse. C’est la seule façon dont une idée peut devenir force agissante4. »

Sur le contenu, la première dénonciation est celle d’un système antidémocratique, qui laisse sur la touche un électeur sur deux, sans parler des travailleurs/ses qui n’ont pas le droit de vote, et permet à un groupe très minoritaire de prendre — et conserver — le pouvoir. La seconde est la mise en avant du programme pour les classes populaires qui a réalisé l’unité, et un peu plus : pour le retour de la retraite à 60 ans, pour des augmentations des salaires et du SMIC, pour une allocation pour les jeunes, pour des embauches massives, notamment dans les services publics, pour l’accueil des réfugiéEs… Les organisations qui se sont accordées sur ce programme électoral doivent maintenant se mettre d’accord pour développer des campagnes militantes durables afin d’obtenir un rapport de forces contre le gouvernement et le patronat permettant de gagner.

Si l’Union populaire et le NPA étaient les seules forces à défendre une telle orientation, il faudrait la mettre en œuvre ensemble sans réticence, parce que les autres composantes sont de fait plus intégrées au système. Si on revient aux caractérisations classiques des organisations avec des bases ouvrières et des directions bourgeoises ou petites-bourgeoises, on perçoit que l’intégration à l’appareil d’État et la base sociale du PS et d’EÉLV montrent que ces organisations, de gauche, ont peu de rapports avec le mouvement ouvrier. Pour le PCF, c’est différent, mais sa forte bureaucratisation – au sens où une couche bureaucratique, qui se reproduit depuis des décennies, le dirige – l’empêche, à cette étape, de se lier à la dynamique militante unitaire.

Pour mettre en œuvre une telle orientation unitaire et combative, il semble indispensable de se lier organiquement aux secteurs militants de l’Union populaire : militer avec les collectifs quand ils existent, les interpeller pour que des réunions militantes larges aient lieu là où il n’y en a pas encore, faire des propositions de campagnes communes, tester la possibilité de participer aux Parlements populaires là où il en existe… Peut-être que cette politique ne sera pas possible parce que les réticences des directions seront trop fortes et que l’UP ne construira pas de structures à la base et sera focalisée par le travail dans les institutions, mais c’est notre responsabilité de pousser dans ce sens. Et il faut parier sur le fait que, s’il y a des luttes, les militantEs se saisiront des organisations déjà existantes.

Pour mener cette bataille, il est possible de se lier à d’autres courants. À Ensemble !, à l’UCL, dans On s’en mêle ou Rejoignons-nous, mais aussi dans la base qui a fait la campagne NUPES tout en n’appartenant pas à une organisation, tout le monde est percuté par la situation actuelle, d’autres militantEs se posent les mêmes questions que nous : comment prolonger la dynamique militante, comment construire le rapport de forces, comment exprimer une orientation plus radicale que celle de la direction de La France insoumise ?

Se poser ce type de questions, essayer de les résoudre avec les militantEs combatifs, syndicalistes notamment, qui ont été polariséEs par la campagne NUPES, est notre tâche de l’heure. Elle n’empêche pas de continuer à porter un projet de rupture révolutionnaire avec le capitalisme, d’implantation dans les entreprises, dans les quartiers populaires et la jeunesse, de construction d’un parti pour défendre ces perspectives. Au contraire, mener la bataille unitaire est un outil pour se construire : vendre son journal, discuter avec des militantEs, agir ensemble est la meilleure façon pour faire progresser une compréhension de l’état de crise du capitalisme, de la nécessité de construire les luttes dans tous les domaines, internationalistes, féministes, LGBTI, antiracistes, syndicales ou para-syndicales, toutes et tous ensemble, et de construire un projet d’émancipation renouvelé et mobilisateur.