Publié le Mardi 28 juin 2022 à 01h25.

« On veut construire cette idée qu’à partir des luttes et des colères, on crée de la politique »

Danièle Obono, députée LFI sortante, est aujourd’hui élue NUPES dans le 18e et 19e arrondissement de Paris. Elle répond à nos questions sur son travail de députée, ce qu’elle essaie de faire et les difficultés qu’elle rencontre.

L’Anticapitaliste : Qu’est-ce que tu as réussi à faire sur la mandature ?

Danièle Obono : Qu’est-ce que ça veut dire réussir ? Le bilan en termes d’efficacité législative n’est pas génial, je pense que 90 % des amendements qu’on a déposés ont été rejetés. Mais j’ai réussi à relayer les luttes, à être une porte-voix des luttes, locales notamment. En tant que députée, l’un des enjeux est que ce qui se passe localement alimente le travail et de faire le lien entre le local et les enjeux globaux. Sur les moments où on a bossé à partir des problématiques locales, où on les a traduites en termes parlementaires et on a pu leur donner un écho, ça a été vraiment utile.

Le travail le plus récent qu’on a essayé, la proposition de commission d’enquête sur la politique de la ville, est venu de toutes les interpellations qu’on a eues sur tout le territoire depuis le début du mandat. On a traduit ça en enquête et ça faisait vraiment des liens, du logement aux questions de sécurité en passant par les associations, les services publics, etc.

On a fait ça aussi sur la question du crack, avec une question écrite et orale au gouvernement, et également sur le logement, la réquisition.

Tu trouves que ça a encouragé les luttes ?

Oui. Et en termes d’utilité, tu te dis que tu sers à quelque chose pour faire entendre les gens. C’est une reconnaissance de ce qu’ils disent, tu ne restes pas juste dans un rapport entre eux et toi – parce qu’ils t’interpellent – mais tu es inscrite dans les comptes rendus de l’Assemblée, tu fais des vidéos qu’on relaie. Il y a une reconnaissance de ce que font les gens, de leurs exigences. Ce sont ces exemples qui sont gratifiants.

Tu parles de reconnaissance, est-ce que le fait qu’une femme noire soit devenue une figure politique un peu connue n’est pas déjà une petite victoire ?

Disons que le biais par lequel j’ai acquis de la notoriété est un peu par défaut, par le biais d’attaques assez violentes. C’est plutôt une reconnaissance de la persistance des barrières, des attaques du système et de l’oppression quand on est en visibilité. Quand on est élue, qu’on est née femme noire et qu’on est radicale, c’est l’intersection de ces trois caractéristiques qui est déterminante, car ce que disent des femmes racisées ne pose pas de problème quand ça s’inscrit dans le discours dominant.

Il faut encore plus de paroles qui aillent à l’encontre de l’idée préconçue de ce que les députés ont le droit de dire où pas. Nous devons être plus nombreux et nombreuses pour porter ces discours, pour dénoncer les discriminations, les mettre en lumière et ne serait-ce qu’exister malgré ça.

Tu peux raconter ton quotidien de députée ?

Il y a des gens qui fonctionnent très différemment, des collègues qui sont peut-être moins rigides que moi mais pour moi, ce qui n’est pas à l’agenda n’existe pas, parce qu’il y a trop de choses auxquelles il faut penser au quotidien.

La semaine commence par un point avec son équipe. C’est une dimension importante, on n’est pas député tout seul, ça se fait dans un groupe, avec des collaborateurs, une équipe indispensable parce qu’il y a tellement de situations, tellement de choses à préparer.

Je mets beaucoup l’accent là-dessus parce que ça aide à ce que tout le monde ait une vision politique globale. Sinon tu es dans ton secteur et tu ne te rends pas compte de ce qui se passe. Le collectif permet que tout le monde ait une compréhension politique des enjeux et qu’on puisse échanger. Ça m’alimente aussi du point de vue des collaborateurs, ce qu’ils font et ce qu’ils voient, ça aide à réfléchir. Et puis de temps en temps on arrive à caser une réunion localement.

En règle générale, mardi, mercredi et jeudi ça se passe à l’Assemblée, et vendredi quand il y des séances qui se prolongent.

Le mardi il y a les questions au gouvernement et les réunions du groupe le matin.

Le mercredi ce sont les réunions des commissions thématiques permanentes. C’est le seul moment de présence obligatoire et où il faut présenter des excuses en cas d’absence. Après il y a les réunions de commissions.

Le vendredi j’essaie d’être en circonscription, d’y placer toutes les rencontres. Les collègues qui sont dans d’autres régions partent souvent le jeudi pour pouvoir être dans leur circonscription. Et puis samedi et dimanche, il y a marché ou manif, donc c’est du 7 sur 7 !

Tu disais qu’il y a des discussions collectives dans le groupe, peux-tu expliquer un peu plus ?

On se voit le mardi. Ce n’est jamais suffisant parce qu’il faut qu’on ait une discussion politique, qu’on détermine qui pose des questions au gouvernement le mardi après-midi à 15 heures, sur les sujets d’actualité, parce qu’on tourne.

On a une discussion politique puis une répartition du travail du groupe : on décide qui suit quels textes, en fonction des commissions, on se répartit quand il y a des besoins, etc. On n’a jamais assez de temps en réunion de groupe.

Pendant les cinq dernières années on a été de fait un peu la direction politique du mouvement en lien avec la coordination parce qu’on tranchait en pratique les questions sur la situation politique.

Tu bosses sur quoi ?

Je suis en commission des lois, c’est-à-dire la commission qui est chargée des questions de police, de justice, de l’administration en général, de tout ce qui est des droits et libertés fondamentales. C’est une grosse commission, tous les textes qui ne trouvent pas leur place dans les autres thématiques viennent là, donc ça va de la réforme de la justice à la loi asile-immigration en passant par les textes d’état d’urgence sanitaire, parce que ce sont des questions de libertés.

On a eu aussi la PMA, par le biais de la loi bioéthique dont elle faisait partie, des gros textes comme ça. Souvent les personnes qu’on désigne entre nous sont celles de la commission des lois parce que c’est lié aux droits et libertés.

Il y a aussi les textes liés aux collectivités locales.

C’est passionnant parce qu’il y a beaucoup de sujets, également les sujets constitutionnels, la réforme de la Constitution, etc.

Comment tu vois enfin la connexion entre cette activité et la construction de collectifs militants à la base, et la question du parti ?

C’est notre principale faiblesse en fait sur le mouvement, parce que déjà c’est un mouvement, pas un parti, avec pour moi plein de qualités mais aussi des limites : c’est un mouvement qui a évolué au fur et à mesure des échéances, qui est né avec la précédente présidentielle et qui a changé de nature parce qu’on avait un groupe parlementaire. Il y a une coordination du mouvement qui regroupe les espaces où on discute, où on suit aussi les campagnes, les conventions, etc.

Une de nos difficultés est de faire le lien entre le travail parlementaire et la construction sur le terrain, c’est-à-dire y compris de faire en sorte que les militants s’inscrivent vraiment dans un militantisme local et pas simplement dans les campagnes électorales.

Il ne s’agit pas simplement de construire le parti comme j’en avais l’habitude au NPA ou à la LCR, c’est vraiment l’implication dans l’infra-politique, les mobilisations du quotidien : les luttes de locataires, les fêtes de quartier et cette idée qu’il faut une présence politique, pas juste pour faire entendre nos idées mais pour être identifiés comme des gens à qui on peut s’adresser, être utile aux gens. Ce n’est pas simple, et j’essaie souvent de convaincre que c’est beaucoup plus utile de passer une heure dans la fête de quartier qu’une heure au métro à diffuser le tract, même pendant les périodes électorales, et quand on peut faire les deux, tant mieux !

C’est la fois la position de députée et le fait d’être une interlocutrice qui me conduisent à me rendre compte de cette réalité, de cette vision de la vie sociale et politique locale. Ça m’a rendue très sensible pour comprendre la manière de construire un mouvement, ou un parti, parce que derrière il y a toujours cette question de construire le parti de la classe, et cette idée de comment on est utile, de comment les militantEs politiques sont utiles dans le quotidien des gens. D’autant plus dans une période où ces questions-là reviennent, avec le fait que tout ce qui organisait la classe jusqu’à présent, comme les syndicats, s’est affaibli, et où il y un éclatement.

On a appris pendant le confinement à organiser des collectes qu’on redistribue aux associations. Il y a un côté qui peut paraître un peu superficiel et « par en haut » mais il y a cette idée de comment on peut être utile, d’être identifiés comme des gens qu’on peut venir voir quand on a un problème. On veut aussi construire cette idée qu’à partir des luttes et des colères, on créé de la politique. Je trouve que c’est très bien, en tout cas ça m’a interpellée : comment on construit le parti, comment on organise la classe, ou « le peuple » en langage Union populaire, mais c’est la même idée.

Quand on fait du porte-à-porte dans le XXe autour de la campagne de Danielle Simonnet, il est assez frappant de constater à quel point les gens se sentent représentés par Mélenchon et par ces candidats, cette dynamique, mais en même temps il y a un côté très délégataire. Est-ce que le fait d’être présente est aussi une façon pour toi d’alimenter l’auto-organisation ?

Oui pour moi c’est ça. Au tout début, on a essayé de reprendre le community organizing, l’auto-organisation au niveau local, même si on n’a pas trouvé les moyens de le faire sur la durée, et c’est l’idée effectivement de développer l’auto-organisation. Danielle l’a un peu fait à son échelle, sur les luttes des locataires par exemple. J’ai souvent été interpellée par les demandes de locataires sur les problèmes de travaux mal faits.

Un des endroits où ça bien marché, parce qu’en plus on avait un camarade relais, c’est allée d’Andrézieux dans le 18e. Il y a une amicale de locataires un peu active, un réseau d’entraide et les gens se sont auto-organisés, se mobilisent et créent un lien social au sens large. C’est un des groupes d’habitants qui soutient ma candidature qui est le mieux structuré et pour moi c’est un modèle de ce qu’il faudrait : des gens qui font des choses au quotidien et, en même temps, qui interpellent les élus et se politisent.

Je suis sûre que si on avait des élus municipaux, ça aiderait beaucoup à cet échelon-là.

Le système met en place des carcans, des contraintes qui empêchent en fait de faire tout ça, est-ce que tu peux expliquer concrètement à quoi tu fais face ?

Le fait est qu’en réalité je passe à peu près, je pense, 90 % de mon temps à l’Assemblée. C’est pour ça que l’échelon local est indispensable. Dans l’histoire c’est ça qui a aidé à structurer. La limite est qu’en tant que députée ça bouffe trop de temps. Il y a une accumulation de textes, et une bonne partie des textes qui sont votés ne servent qu’à de la posture politique, des textes comme la loi asile-immigration, ou sur la sécurité, qu’ils font voter tous les ans…

Il y a une grosse difficulté à faire les deux : suivre les dossiers et partir de la base. Chaque fois qu’on a fait des ateliers pour les propositions de loi, avec les habitants, ça prend du temps à construire et c’est du temps qu’on n’a pas. Une des limites du travail parlementaire est le caractère souvent expéditif, par exemple quand on a des textes en procédure accélérée, on n’a pas le temps de faire le travail avec les gens. Pour moi c’est la principale limite.

Et c’est ce qui te sépare de la société ?

Oui, clairement. Heureusement on a des sources indirectes, avec les associations notamment. Elles sont indispensables. Mais le lien entre le représentant qui vote la loi et les gens est vraiment difficile avec les rythmes parlementaires.

De toute façon, en tant que parlementaire on n’a aucun pouvoir local – et c’est tant mieux. On s’est senti très soulagé que la réserve parlementaire ait été supprimée car elle créait des liens de dépendance problématiques.

Il y a donc une difficulté pour créer des liens entre les différents échelons. Si on avait plus d’élus municipaux, je pense que ce serait plus facile. Étant la seule députée de Paris et Danielle [Simonnet] la seule conseillère de Paris, ça faisait beaucoup trop de sujets sur lesquels se coordonner.

La NUPES est un bouleversement par rapport à la mandature précédente, comment tu vois les choses, quelle NUPES tu voudrais ?

Une des choses indispensables, quand je vois l’expérience des dernières années, est que les mouvements restent ultra forts. Ce n’est pas juste une posture : sur tous les sujets où il y a désaccords au sein de la NUPES et où on a dit qu’on s’en remettrait à la sagesse de l’Assemblée, ça ne se dénouera que s’il y a un rapport de forces externe. On ne pourra tirer le meilleur de cette Nouvelle Union populaire que s’il y a un rapport de forces social. Si on a la majorité, et encore plus si on est au gouvernement, pour mettre en œuvre ce qu’on a dit, mais même si on ne l’est pas, pour aller au bout.

On l’a vu à notre échelle pendant ces cinq premières années, c’est quand il y avait un mouvement que les collègues du PS ou du PCF, au début très réticents, finissaient par y aller. Tu n’es pas dans le même rapport de forces parlementaire si tu as de vrais alliés, si tu n’es pas juste à batailler, à te sentir très seule face aux 300 autres.

Est-ce que ça ne pose pas aussi la question de la transformation de la coalition électorale en quelque chose de plus militant ?

J’espère que la majorité de la direction qui a fait le choix de cette campagne unitaire va aller jusqu’au bout. Dans beaucoup d’endroits, les militants se remettent à faire des choses ensemble. L’enjeu est que ça se maintienne, que ça transforme les pratiques des uns et des autres pour créer une culture commune. Le travail parlementaire peut être un terrain pour ça parce qu’on aura des batailles communes à mener, sur des sujets communs à relayer localement. Et puis le fait de travailler ensemble localement va aussi influencer ce qu’on fera à l’Assemblée : ce qui sera porté par les équipes militantes, et relayé par le député, ça renforcera le travail local.

Au niveau de la France insoumise on n’a absolument pas eu le temps encore de se poser pour discuter de ça, mais ça va changer sa nature. On a déjà commencé à évoluer avec l’Union populaire et le Parlement de l’Union populaire, qui évolue en quelque chose d’autre. Il y a aussi le spectre du travail des groupes d’action, il faut pérenniser les liens avec les forces et jusqu’au groupe parlementaire, l’intergroupe et le Parlement de l’Union populaire qui se fera l’écho des mouvements sociaux et qui jouera le rôle de pousser le rapport de force social vis-à-vis de la NUPES.

Pour réussir, que ce soit mettre en place un programme ou réussir à construire le rapport de force face à une majorité macroniste, on a de bons éléments pour une dynamique militante et politique. Ce n’est pas donné, il faudra batailler politiquement pour faire accepter que parfois il faut être frontal, et que ce n’est pas grave si on se prend tous les médias et la macronie ! 

 

Propos recueillis par Antoine Larrache