Publié le Vendredi 2 décembre 2022 à 13h00.

Pénurie d’amoxicilline… et si on réquisitionnait une ligne de production de Sanofi ?

Après le paracétamol, c'est l'amoxicilline, seule ou en association avec l'acide clavulanique qui risque de manquer jusqu'en mars 2023. La pénurie de cet antibiotique, qui représente entre 60 et 70% des prescriptions en pédiatrie, constitue « une crise majeure de santé publique ». Avec le risque d'un effet domino, les alternatives à l'amoxicilline risquant à leur tour d'être en pénurie avec les reports de prescriptions. Avec le risque d'antibio-résistance majoré par l'usage antibiotiques moins adaptés.

En quelques années, les ruptures sur les médicaments essentiels ont explosé, passant de 405 en 2016, à 2160 en 2021. Avec parfois des conséquences dramatiques. Pendant la crise covid, au début 2020, les curares, ces produits essentiels à l'anesthésie sont venus à manquer partout dans le monde. Les services de réanimation, confrontés à des choix éthiques insupportables, ont dû dégrader la qualité et les standards des réanimations. « Pour ces médicaments peu chers, personne n’a de stocks et la production est en flux tendu ». Le covid désorganisait les chaines de production, 80 % des principes actifs des produits pharmaceutiques viennent de Chine et d'Inde, et faisait exploser partout en même temps les besoins en anesthésiques. À un autre moment, c'est un problème d'impureté dans les chaines de production des traitements anti-tuberculeux, concentrés dans quelques usines dans le monde, qui met en péril la continuité indispensable d'un traitement pour lequel toute rupture est synonyme d'apparition de tuberculose multirésistante qui touche 500 000 personnes chaque année.

Zéro stock, production à flux tendu, délocalisation et concentration de la production des principes actifs dans des pays à bas coûts salariaux et faibles critères de sécurité de production, orientation préférentielle des médicaments en pénurie continuelle vers les marchés qui acceptent de payer les prix les plus hauts, voilà la production capitaliste du médicament. Ajouté aux risques majorés de pandémie, la guerre en Ukraine et les affrontements inter-impérialistes, les risques de pénurie sont donc structurels à la production capitaliste d'un médicament marchandise, alors que le droit à la santé exigerait qu'il soit un bien commun retiré du marché, de ses brevets et droits de propriété intellectuelle.

Les capacités de production sont chez Sanofi, c'est maintenant qu'il faut les réquisitionner !

Alors bien sûr, il faut réduire les prescriptions d'antibiotiques à ce qui est juste nécessaire à la bonne santé des patients , et pas à la santé des trusts de la pharmacie, ses armées de visiteurs médicaux, ses journaux sous influence. Et pour cela par exemple généraliser les streptatests qui dépistent les rares 5 % d'angines bactériennes qui seules nécessitent des antibiotiques, en finir avec les visiteurs médicaux des trusts pour une information médicale indépendante sur l'usage des antibiotiques, effondrer la consommation généralisée d'antibiotiques pour les animaux qu'imposent les gigantesques fermes usines, catastrophe écologique et facteur de résistance aux antibiotiques… Mais face à la pénurie et la catastrophe annoncée, il faut aussi réorganiser la production.

En avril 2020, en pleine crise covid, l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, aux côtés d’une coalition de collectifs de soignants, associations de malades et de juristes, avait saisi le Conseil d'État « pour exiger la réquisition sur le sol français des moyens de production pour produire les matériels, tests et médicaments dont nous avions besoin et qui manquaient cruellement ». Dans ce contexte d’urgence, même le Premier ministre français de l'époque, Edouard Philippe, avait jugé « envisageable » la réquisition des moyens de production de médicaments, tout en la refusant finalement, imposant aux équipes soignantes des choix éthiques insupportables, un tri et une perte de chance aux patients. L'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, qui exige « un pôle public du médicament », une relocalisation des productions pour faire face aux pénuries, pandémies et crises géo-stratégiques à venir » soulignait d'ailleurs que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale déposé en France par le gouvernement à l’automne 2021 reconnaissait qu’une production publique a été nécessaire en avril 2021 pour pallier les ruptures de curares dans les structures hospitalières.

Ironie de l'histoire, en 1918, pendant la grande épidémie de grippe qui a marqué la Première Guerre mondiale, la Société Chimique des Usines du Rhône, au Péage-de-Roussillon, était confrontée à la même exigence de réquisition de la part du gouvernement français de l'époque. Elle préférait exporter fort cher son aspirine plutôt que de la rendre disponible pour lutter en France contre la fièvre grippale. La Société Chimique des Usines du Rhône est l'ancêtre de Rhône-Poulenc qui, en 1999, est devenu Aventis, puis Sanofi-Aventis !

Face la menace absolue de pénurie sur les antibiotiques, les capacités de production sont là. Mais elles sont aux mains de Big Pharma. Elles ont déjà été payés par les milliards de crédits d'impôts recherche, compétitivité, subventions covid qui ont fait la richesse des actionnaires de Sanofi, mais privent les peuples de médicaments, de vaccins essentiels, l'urgence n'est pas tant à un lointain pôle public du médicament qui nécessiterait le vote d'une loi, de nouveaux investissements, l'embauche de compétences, qu'à la réquisition, immédiate, d'une chaine de production de Sanofi pour produire les médicaments essentiels en pénurie. Le seul pôle public du médicament qui vaille, immédiat, et qui ne laisserait pas aux trusts les secteurs rentables de la pharmacie, c'est la réquisition d'une chaine de production de Sanofi pour produire et distribuer les antibiotiques essentiels en pénurie. Premier pas vers la socialisation indispensable de Big Pharma !