Publié le Mercredi 22 mars 2023 à 09h30.

Héctor, de Léo Henry

Éditions Rivages, 2023, 208 pages, 19,50 euros.

Héctor, c’est Héctor Germán Oesterheld, un scénariste de bande dessinée argentin presque inconnu en France. On connaît néanmoins certains titres qu’il scénarisa pour Hugo Pratt à ses débuts, comme « Sergent Kirk ». 

Son œuvre la plus connue — culte est l’adjectif qui s’impose — est un feuilleton de science-fiction, l’Éternaute. Dessinée par Fransisco Solano López, publiée de 1957 à 1959 et disponible en français chez Vertige Comics, c’est l’histoire d’un groupe d’amiEs survivant à une neige mortelle tombant sur Buenos Aires et confrontés à l’invasion des extraterrestres l’ayant déclenchée. Elle fut republiée en 1969, illustrée par Alberto Breccia. Elle est disponible en français chez Rackham avec un scénario repris et au contenu politique plus affirmé.

Victime de la dictature argentine

À la suite de ses quatre filles, Oesterheld était devenu un militant de la gauche péronniste, un Montoneros. Il disparut en 1977, assassiné comme ses enfants dans un centre de détention clandestin de la dictature. 

« L’Éternaute comme Invasión semblent des rêves prémonitoires à ce récit impossible, des histoires de monstres et de fantômes, des contes fantastiques, seuls à même d’esquisser l’atroce réalité de ce qui s’est produit. » Léo Henry lie la bande dessinée à Invasión, film de Hugo Santiago au scénario duquel on trouve Borges et Bioy Casares. Comme il lie Aquilea, la ville d’Invasión, à ce qui arriva aux Oesterheld. De villes réelles ou fictives, il est beaucoup question car son livre est aussi une description d’un Buenos Aires, ce qui n’est pas très étonnant de la part d’un des membres du collectif (avec en particulier Jacques Mucchielli) qui a exploré la ville (imaginée) de Yirminadingrad dans quatre recueils de nouvelles. Vous pourrez commencer par Yama Loka Terminus aux éditions Dystopia.

« Tout, en Argentine, est une fiction »

« Ce livre est une tentative de regarder ce qui s’est joué en ce temps et en ce lieu, à la rencontre du réel, du rêve et du récit. » C’est à travers des descriptions, des nouvelles fantastiques situées à Aquilea, des notes de documentation, la réécriture d’un centre de torture clandestin en Bibliothèque de Babel1, de scènes de vie presque réelles des Oesterheld, de monologues du personnage de l’Éternaute ou de projets rêvés d’un scénario sur le général San Martín, réputé avoir été imposé à Oesterheld pendant sa disparition, que Léo Henry donne son esquisse de l’atroce réalité de la dictature.

« Tout, en Argentine, est une fiction » déclare une amie à Léo Henry avant qu’il ne commence ses recherches sur place. La littérature est présente tout au long du livre. Par les écrivains, Borges évidemment mais également des auteurs argentins contemporains, comme Guillermo Saccomanno, la plupart étant publiés aux éditions Asphalte. Mais surtout par le langage, à commencer par ce mot de « disparu » décrivant les victimes de la dictature. 

C’est un livre excellent car Léo Henry est un grand écrivain. Un livre juste, par ce mélange de fiction et de réel. Un livre important pour nous, ne serait-ce que parce que les victimaires, les assassins, ont été formés à l’école française.

Benjamin Mussat

  • 1. Selon le titre de la nouvelle de Jorge Luis Borges.