Publié le Lundi 18 juillet 2016 à 15h18.

Suicides : Carton rouge pour Orange et les autres ?

Les suicides liés aux organisations de travail ne font que se multiplier. Même s’il y a parfois reconnaissance en accident du travail, si (cas rarissime) la « faute inexcusable de l’employeur » est reconnue, après des années de procédures, les patrons ne sont pas inquiétés plus que cela : une amende qui tout compte fait les dérange bien moins qu’une légère dégradation de leur image.

Après 7 années d’investigation, Didier Lombard, ex-PdG de France Télécom (Orange), pourrait être renvoyé devant le tribunal correctionnel pour harcèlement moral, Louis-Pierre Wenes le « tueur de coûts », ex-numéro 2, et Olivier Barberot, ex-responsable des ressources humaines, ainsi que quatre cadres pour complicité. Résultats non exhaustifs : suicide de 57 salariés entre 2008 et 2010 (et, selon les syndicats, de plus de 34 salariés en 2007).

Était mise en place une organisation du travail pour atteindre les objectifs de la direction : supprimer 22 000 postes entre 2006 et 2008, internationaliser le groupe, tourner l’entreprise vers le client, dégager du cash pour les actionnaires par ceux appelés les « costkillers »...

La méthode retenue (programme NExT et plan ACT) pour cet exploit managérial ne fait pas dans la dentelle, avec profusion de tableaux Excel, présentations PowerPoint... Ce « crash programme » – « c’est la logique business qui commande » – avait été théorisé dans le plus grand secret en 2006 : « Il faut qu’on sorte de la position de mère poule », « je ferai les départs d’une façon ou d’une autre ». dira Lombard. Il s’agit de « casser les solidarités » et de « manager par le stress ».

Le harcèlement était érigé en méthode. Les cadres étaient formés à décourager leurs équipes, leur bonus en dépendait. Chaque nouveau départ était la promesse d’une prime majorée en fin d’année. L’école de management de Cachan, spécialement créée en 2005 et entièrement consacrée au projet, formait les cadres à « faire bouger les gens », en mettant « la pression partout ». Plus de 4 000 cadres suivaient le cursus chaque année.« Cette machine était une machine de destruction massive », confirme Me Teissonnière...

Des méthodes qui ont fait école

Les syndicats, notamment via les CHSCT, les médecins du travail, avaient alerté les directions. L’inspection du travail avait souligné la « brutalité » des méthodes managériales qui « ont eu pour effet de porter atteinte à leur santé physique et mentale ». Les travailleurs évoquent les « humiliations », « intimidations », « brimades », « jalousie », « l’impossibilité de communiquer », « surveillé constamment du matin au soir ». Les petites phrases assassines qui pleuvaient sans raison, des services surchargés, dans l’obligation de faire le boulot de chefs de projet...

France Télécom est un exemple emblématique, mais ces méthodes ont fait école. Des centaines de suicides ont lieu chaque année dans les entreprises, souvent au domicile des victimes. Outre les suicidéEs, leurs familles, confrontées à la négation de la responsabilité patronale et de leurs organisations du travail, ne s’en remettant jamais. Les patrons sont des assassins ! Bien conscients des risques qu’ils font courir aux travailleurEs, ils refusent la mise en place de toute prévention efficace.

Reconnaissance d’un harcèlement moral institutionnel ou inculpation pour homicide involontaire, dans les deux cas les patrons risquent la prison. Ce serait une première. On comprend d’autant plus que la casse du code du travail – en réduisant les moyens des CHSCT, des médecins du travail, des inspections du travail – soit déterminante pour le patronat.

Alain Jacques