Publié le Mercredi 13 avril 2022 à 07h19.

Aux USA, la lutte des travailleurEs pour s’organiser chez Amazon se heurte à des difficultés

Au début du mois, les travailleurEs d’un entrepôt Amazon à Staten Island, dans la ville de New York, ont remporté un vote de représentation syndicale par 2 654 voix contre 2 131 sur les quelque 8 000 travailleurEs autorisés à voter. Cette élection, qui a créé le premier lieu de travail syndiqué d’Amazon aux États-Unis, est désormais contestée devant le National Labor Relations Board (NLRB — Conseil national des relations du travail) par Amazon, qui fait valoir que le conseil du travail a favorisé le syndicat et que celui-ci a fait pression sur les travailleurEs.

Bien que les avocats spécialisés en droit du travail estiment que cette contestation a peu de chances d’être gagnée, elle ralentira le processus d’obtention par le syndicat d’un premier contrat d’entreprise pour ces travailleurEs. Il faut généralement trois ans à un syndicat pour obtenir un premier contrat.

4,2 millions de dollars pour stopper le syndicat à Staten Island

Lors d’une autre élection supervisée par le NLRB qui s’est tenue au même moment dans un autre entrepôt d’Amazon à Bessemer, en Alabama, 993 travailleurEs ont voté contre l’implantation d’un syndicat, tandis que 875 ont voté en sa faveur, mais plus de 400 bulletins ont été contestés et il n’y a pas encore de décompte final. Il faudra plusieurs semaines avant qu’une audience du conseil du travail ne débouche sur une décision finale concernant le syndicat. Ces deux élections montrent clairement qu’Amazon utilise toute sa richesse et son pouvoir pour lutter contre la syndicalisation. Amazon a dépensé 4,2 millions de dollars pour stopper le syndicat à Staten Island. La société a licencié certains organisateurs syndicaux de base et en a fait arrêter d’autres pour intrusion, et ses avocats s’efforcent maintenant d’annuler l’élection.

Dans le même temps, les travailleurEs ont laissé entendre qu’ils et elles allaient étendre la lutte à d’autres lieux de travail. Chris Smalls, le leader de l’action de Staten Island, a déclaré avoir été contacté par des salariéEs de cinquante autres lieux de travail d’Amazon, la plupart aux États-Unis, mais aussi en Afrique du Sud, en Inde, au Canada et au Royaume-Uni. « Si nous n’allons pas au travail, les PDG ne gagnent pas leur argent. Donc, si les travailleurs peuvent réaliser que peu importe où ils travaillent et ce qu’ils font, alors ils peuvent se regrouper pour négocier collectivement. C’est ce dont je pense que nous avons été témoins le 1er avril [lors du vote sur l’implantation syndicale à Staten Island] : nous avons pu partager cette expérience et faire savoir à tout le monde que n’importe quelle personne ordinaire peut mettre en échec l’entreprise la plus puissante, où que ce soit, quelle que soit sa taille ».

Des combats en perspective

Les médias de toute sorte ont été inondés d’interviews de Smalls et d’autres militants et de récits sur leur lutte pour s’organiser : un combat dirigé par les travailleurEs eux-mêmes et basé sur des centaines de discussions avec d’autres travailleurEs de l’établissement, des discussions tenues autour de barils de bois brûlant aux arrêts de bus. Alors que d’autres organisations syndicales ont dépensé des sommes considérables pour rémunérer des organisateurs professionnels qui n’avaient jamais travaillé chez Amazon, se sont appuyés sur les relations publiques et ont fait appel à des politiciens inconnus des travailleurEs, l’expérience de Staten Island est entièrement basée sur les travailleurEs eux-mêmes. Cela a déclenché un débat national sur la façon dont les syndicats devraient s’organiser. Un tel activisme de la base représente à la fois une nouvelle possibilité et une menace pour les syndicats existants, hautement bureaucratiques, légalistes et largement inefficaces.

La récente victoire à New York soulève également d’autres questions. Les organisateurs de l’entrepôt de Staten Island n’ont jamais appelé les travailleurEs de l’établissement à mener une action directe contre l’entreprise. Bien que les travailleurEs aient apparemment perturbé des réunions organisées par la direction, il n’y a eu aucun ralentissement ni arrêt de travail. Les travailleurEs se sont entièrement reposés sur le vote supervisé par l’agence gouvernementale. Les salariéEs se battent aujourd’hui pour défendre leur victoire à Staten Island, pour organiser d’autres établissements, puis pour obtenir des contrats syndicaux, et l’histoire du mouvement ouvrier suggère qu’ils et elles devront être prêts à utiliser leur force pour réussir. Lorsque les travailleurEs utilisent cette force dans de grandes grèves, l’expérience peut rapidement devenir contagieuse et se répandre dans la classe ouvrière. Cela s’est produit tout au long de l’histoire : en France, aux États-Unis et au Mexique dans les années 1930, en Pologne, au Brésil, en Corée du Sud et en Afrique du Sud dans les années 1980, en Tunisie et en Égypte pendant le printemps arabe, et plus récemment en Algérie et au Soudan. Cela peut-il se produire aux États-Unis aujourd’hui ?

Traduction Henri Wilno