Publié le Vendredi 3 février 2023 à 13h00.

Cameroun: le silence ou la mort

Pour avoir dénoncé la corruption du pouvoir au Cameroun, Martinez Zogo, un journaliste, a été assassiné. Une violence contre la presse exacerbée par une féroce compétition au sein de l’élite pour la succession d’un Paul Biya vieillissant. L’État de non-droit qui règne est volontairement ignoré par l’Occident au motif de la stabilité du pays.

Le corps du journaliste Martinez Zogo a été retrouvé quatre jours après son enlèvement par des hommes cagoulés circulant dans un 4×4 dépourvu de plaques d’immatriculation. Les premières constatations font état d’un corps affreusement mutilé, laissant penser que Martinez a été torturé avant d’être exécuté.

Corruption et peur

Martinez Zogo n’est pas le premier journaliste à être victime de la répression. Il y a deux ans, Samuel Wazizi était mort en détention après avoir écrit des articles critiques sur les agissements de l’armée camerounaise dans la région anglophone en guerre contre le pouvoir central. Paul Chouta fut lui aussi enlevé, tabassé et laissé pour mort. D’autres journalistes ont été victimes d’intimidation. Le but : imposer le silence au sujet des nombreux délits financiers commis par les tenants du pouvoir. C’est précisément pour avoir dénoncé les affaires de détournement d’argent public, en apportant les preuves et en citant les noms des responsables, que Martinez a été probablement assassiné. Dans son émission « Embouteillage » diffusée sur la radio Amplitude FM, le journaliste avait dévoilé en détail une affaire de corruption dit de la ligne 94, déjà évoquée il y a quelques semaines dans nos colonnes1. Cette ligne budgétaire 94 cachait des versements d’argent public vers le privé. Était cité le nom de Jean-Pierre Amougou Belinga, un homme d’affaires propriétaire de plusieurs médias, très proche du pouvoir et particulièrement du ministre des Finances Louis-Paul Motaze.

La lutte de clans

Cette mise au pas des journalistes se déroule dans un contexte très particulier. En effet, c’est Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire de la présidence, qui gère le pays à la place de Paul Biya, le président du Cameroun bien mal en point du haut de ses 89 ans. Cependant, il a toujours pris soin d’éviter de désigner un dauphin qui aurait pu le destituer, comme il l’a fait lui-même en menant un coup d’État contre l’ancien président Ahmadou Ahidjo. La conséquence est que les élites au pouvoir, sentant la fin de règne de Biya, s’entredéchirent pour lui succéder. Des noms sont régulièrement cités. Le fils du président, Franck Biya, Alamine Ousmane Mey, ministre de l’Économie dont le père fut un soutien de Biya lors du coup d’État. Il y a aussi le neveu de Jeanne-Irène Biya, première épouse du président, qui n’est autre que… Louis-Paul Motaze, le ministre des Finances. Tant que l’impunité est de règle pour les crimes contre les journalistes, la violence n’est pas près de cesser, d’autant que les enjeux en termes de pouvoir politique et financier sont considérables.

Cachez cette corruption que je ne saurais voir

Le pouvoir en place utilise le conflit armé dans la partie anglophone du pays et les attaques des djihadistes de Boko Haram pour restreindre les libertés démocratiques. Dans ce contexte difficile, partis de l’opposition et organisations de la société civile tentent de faire entendre leur voix et exigent une commission indépendante pour enquêter sur le meurtre de Martinez Zogo.

Si la situation de non-droit est néfaste pour les populations, certains en profitent. À l’exemple de Bolloré, comme l’a révélé Mediapart. L’homme d’affaires, malgré un jugement exécutoire dans un litige commercial au Cameroun, s’est refusé à verser les dédommagements. Et lorsque les agences gouvernementales anticorruption préconisent des poursuites contre des hauts fonctionnaires pour détournement des aides financières destinées à la lutte contre le Covid, rien ne bouge. Les institutions financières internationales quant à elles préfèrent fermer les yeux et continuer à verser les fonds. La France n’est pas en reste. Elle refuse d’apporter la moindre critique au pouvoir en place au nom de la préservation de la stabilité du pays, justification éculée de la politique africaine de la France. Comme l’a justement résumé une universitaire dans une tribune au journal le Monde « Au Cameroun, la diplomatie française défend les intérêts d’une élite prédatrice ».

  • 1. L’Anticapitaliste n° 638, 24 novembre 2022.