Publié le Lundi 24 mai 2010 à 11h33.

Mauritanie : vers une guerre identitaire ?

 

En janvier 1966, le régime mauritanien applique la loi imposant l’enseignement secondaire en arabe. Cela entraîna un mouvement de grève des lycéen-ne-s et des professeur-euse-s dans tous le pays qui se soldat par 6 mort-e-s et 70 blessé-e-s. A l’instar de l’Afrique du Sud, où l’Afrikaans fut imposé aux seul-e-s élèves noir-e-s, ceci posa le premier acte de l’assimilation forcée des négro-mauritanien-ne-s. Au lieu de créer l’unité nationale du pays, le fossé s’accentua entre les Beïdanes, caste dominante, au détriment de la population noire. Sous l’impulsion des milieux extrémistes arabes, externes comme internes, cette politique atteindra son apogée entre 1989 et 1991 par l’épuration ethnique dont ont été victimes haalpulharens entre autre. C’est sous le fallacieux prétexte de la guerre sénégalo-mauritanienne que Taya déclencha la répression et la déportation de milliers de noirs au Sénégal et au Mali.

C’est dans ce contexte de conflit ancien mais surtout à la veille de la commémoration du déclenchement de cette déportation en avril 1989, que les propos du premier ministre et de celui de la Culture, déclarant notamment, le 6 mars dernier, lors de la célébration de la journée de la langue arabe, que la «civilisation mauritanienne est arabo-islamique», ont été pris comme un véritable appel à la discrimination raciale. L’arabe deviendrait donc la seule langue nationale, praticable dans les secteurs clés de l’économie, de l’administration, de l’enseignement au détriment des autres langues et du français, pourtant langue officielle.

La Mauritanie est pays multi-ethnique et donc multiculturel. S’y côtoient des arabophones, hassania (beïdanes), fulbé, wolof, soninké et harratines, ces derniers groupes étant des négro-mauritaniens, composante majoritaire du pays. Imposer la langue de la caste minoritaire, mais dominante, reviens donc à un esclavage mental pratiquer sur le reste de la population. En effet, un enfant à qui ont inculque un enseignement dans une langue qui ne lui est pas familière, et c’est le cas des populations vivant en zone enclavées, n’a pratiquement aucune chance de réussite sociale qu’un autre qui lui reçoit un enseignement dans sa langue maternelle. Le premier restera cantonné dans une catégorie subalterne alors que le second pourra accéder à des études supérieures.

L’arabisation de tous les secteurs fondamentaux du pays n’est donc pas un «faux problème». C’est la volonté clairement affichée du gouvernement d’inscrire la Mauritanie dans le bloc du Maghreb. Le pays étant membre de la Ligue Arabe depuis 1973, les hauts postes sont réservées aux arabophones, y compris dans l’armée, dénégrifiée sous l’ère terrible du Régime de Ould Taya. Cette imposition linguistique, instrument d’aliénation, est malheureusement révélatrice de tensions sous-jacentes. Les étudiant-e-s négros-mauritanien-ne-s ont donc contesté cette énième oppression culturelle lors de manifestations à l’Université de Nouakchott organisé par une plateforme de syndicats estudiantins. Le campus fut le théâtre affrontements entre eux et des étudiants pro-arabes, le tout ayant conduit à des arrestations.

Loin d’être un «mouvement d’humeur», comme certains tenants du système l’auraient souhaité, ce soulèvement et ses heurts rappellent, à ceux qui auraient la mémoire qui flanche, que l’unité Nationale Mauritanienne est loin d’être acquise. C’est pourtant ce à quoi un gouvernement digne de ce nom devrait œuvrer. Construire la Mauritanie en tant qu’Etat-nation, et non pas Etat-Clanique, afin de sauver le pays d’une explosion ethnique qui n’épargnerait personne.

L’organisation d’un débat national sur la cohabitation est nécessaire. Il devra tenir compte que la Mauritanie est un Etat arabe ET africain, que ses composantes humaines, ainsi que leurs cultures (langues, coutumes et traditions) doivent être diverses mais égales dans un destin commun. C’est à ce seul prix que la guerre des identités n’aura pas lieu et que la Mauritanie vivra.

Mariam Seri Sidibe