Publié le Lundi 30 octobre 2023 à 09h00.

« Nous, les travailleurs de l’automobile, nous savons mieux qu’eux »

Visant pour la première fois depuis des décennies les trois constructeurs historiques en même temps, la grève de l’automobile aux États-Unis a commencé le 15 septembre 2023. Conduite selon un développement organisé par le syndicat des travailleurs de l’automobile, l’UAW, elle s’étend en date du 20 octobre à plus de 30 000 ouvrières et ouvriers1.

 

L’UAW définit cette grève comme une grève « stand up », littéralement une grève debout. C’est une référence aux grandes grèves des années 1930 et notamment celle qui dura 44 jours dans l’usine General Motors de Flint dans le Michigan. Ce fut une grève « sit in » sur le tas pendant laquelle les ouvriers occupèrent leur usine. L’UAW signifie ainsi que la grève d’aujourd’hui renoue avec les traditions des grandes luttes des travailleurs de l’automobile aux États-Unis et tourne le dos aux compromissions dans lesquelles les directions précédentes du syndicat avaient sombré.

La nouvelle direction de l’UAW présidée par Shawn Fein, élue par un vote direct des syndiqués, est en place depuis seulement mars 2023. Depuis le début de la grève automobile, le président de l’UAW fait un point hebdomadaire sur l’avancée dans la satisfaction des revendications, les positions patronales et la situation du mouvement en cours. Ces interventions, diffusées en direct sur Facebook live, sont suivies par plusieurs dizaines de milliers de salariéEs, y compris dans les usines où elles sont regardées sur les téléphones.

L’intervention de Shawn Fein du vendredi 6 octobre a eu lieu après deux semaines de grève et rappelle les principales revendications de la grève avec la présentation sur chacun des points de ce qui a été obtenu et de ce qui reste à gagner.

Depuis, les trois constructeurs automobiles, les Big Three, sont demeurés intransigeants. Le 13 octobre, Shawn Fain, loin de se satisfaire des avancées déjà obtenues a appelé une « nouvelle phase de la lutte, passant de la défensive à l’offensive ».

Texte intégral de l’intervention du 6 octobre du président de l’UAW Shawn Fain telle qu’elle est publiée sur le site de l’UAW.

Bonjour la famille UAW,

Cela vient d’arriver. Quelques instants avant cette intervention sur Facebook, nous avons réalisé une avancée majeure qui a non seulement changé radicalement le cours des négociations, mais qui va changer l’avenir de notre syndicat et celui de notre industrie.

Nous étions sur le point de fermer l’usine la plus profitable de General Motors, à Arlington, au Texas. GM savait que ses membres étaient prêts à entrer en grève immédiatement. Cette simple menace a apporté une victoire. GM a maintenant accepté par écrit de placer la fabrication des batteries électriques sous notre accord-cadre national.

Cela fait des mois qu’on nous dit que c’est impossible. On nous a raconté que l’avenir des véhicules électriques devait être une course vers le bas dans les conditions de travail et les salaires. C’était du bluff.

Ce que cela signifie pour les syndiquéEs ne doit être sous-estimé. Leur plan était de supprimer les usines de moteurs et de boites de vitesse pour les remplacer par des emplois à bas salaires. Dans les usines de batteries, nous avions un plan différent. Et notre plan est gagnant chez GM. Et nous nous attendons à ce qu’il gagne également chez Ford et Stellantis.

Aujourd’hui, nous allons donc faire le point sur l’état des négociations. Les choses avancent vite. Il est difficile de proposer une mise au point qui ne soit pas obsolète dès le moment où elle est faite. Voici donc les points saillants de la situation au moment où je vous parle.

GM avait pris du retard. Aujourd’hui, sous la menace d’attaque majeure au plan financier pour eux, ils ont devancé le peloton des autres constructeurs en termes de transition juste. Et voici la conclusion : notre grève fonctionne. Mais nous ne sommes pas encore arrivés au bout.

Tout ce que nous avons fait jusqu’à présent a un seul objectif : gagner un contrat record à la mesure des bénéfices records des Big Three et des sacrifices historiques que nos syndiqués ont consentis pour générer ces bénéfices. Nous avons exprimé très publiquement nos revendications, nos attentes et nos priorités.

Tout le monde sait que nous nous battons pour la justice économique, pour une transition juste vers le véhicule électrique, pour le COLA (l’indexation des salaires sur les prix), pour des augmentations de salaire significatives, pour la sécurité des retraites, pour mettre fin aux niveaux de salaires, pour parvenir à un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et bien plus encore. J’aurais aimé être ici pour annoncer un accord de principe avec une ou plusieurs de ces entreprises. Mais je tiens à être très clair : nous faisons des progrès significatifs.

En seulement trois semaines, nous avons fait progresser ces entreprises plus loin que quiconque ne l’aurait cru possible. Voyons où les choses avaient commencé et où nous en sommes aujourd’hui.

Les salaires

La première proposition salariale reçue de la part des entreprises a été celle de Ford, une augmentation de 9 %. Aujourd’hui, après trois semaines de grève, la même entreprise propose 23 %. C’est deux fois et demie plus élevé qu’au début, même si ce n’est pas encore le montant de nos revendications. GM et Stellantis sont derrière Ford, à 20 %. Nous pensons qu’ils peuvent rattraper leur retard et même plus.

L’indexation des salaires sur les prix

Nous entendons depuis des années que le COLA appartiendrait au passé, que nous ne pouvons pas revenir à cette formule d’ajustement au coût de la vie qui nous protégeait contre les ravages de l’inflation. Soudain, trois semaines après le début de notre grève Stand Up, deux des trois grands constructeurs automobiles se sont engagés à revenir à la formule du COLA de 2007. Ford et Stellantis ont convenu de réintégrer le COLA, GM n’est pas loin derrière. Nous les y amènerons.

Les intérimaires

Parlons des intérimaires qui ont été maltraités et exploités par les Big Three depuis bien trop longtemps. Cette partie de la main-d’œuvre était autrefois un petit groupe, utilisé uniquement pour des remplacements de courtes périodes. Aujourd’hui, ils constituent une section entière de notre syndicat, avec peu de droits, des salaires bas et un avenir incertain. En trois semaines, nous avons obtenu des augmentations pour les intérimaires à 20 $ de l’heure chez GM et Stellantis, et à 21 $ de l’heure chez Ford. Les trois ont certes pris des engagements concernant la conversion des intérimaires en permanents mais il reste encore du travail à faire, tant sur les salaires que sur les modalités des conversions. Nous faisons néanmoins de grands progrès qui finiront par changer la vie de milliers de nos membres.

La progression selon les niveaux de salaires

Un autre domaine de progrès sérieux est la progression selon les niveaux de salaires. Au début de ces négociations, il fallait 8 ans aux travailleurs pour atteindre le taux le plus élevé. Il est inacceptable de mettre près d’une décennie pour atteindre ce niveau. Depuis la Grande récession de 2009, la longueur de ce délai a réduit la qualité de vie de dizaines de milliers de membres de l’UAW. Nous avons réduit ce délai à trois ans chez Ford, tandis que GM et Stellantis sont toujours en retard, avec un délai à quatre ans.

Nous devons continuer à pousser, mais cela signifie que tous les intérimaires passeront, à la fin de leur contrat, dans un délai de 4 ans, du statut de citoyen de seconde zone à celui de citoyen de plein droit. C’est un point important.

Le partage des profits

Les trois sociétés voulaient que nous acceptions des concessions sur la participation aux bénéfices. Nous avons dit « non » à cet enfer ! Non seulement nous avons repoussé la formule de participation aux bénéfices de Ford, mais nous avons également apporté des améliorations. Nous avons également réussi à repousser les exigences formulées en ce domaine par GM et Stellantis.

La sécurité de l’emploi

Il y a deux semaines, nous avions laissé Ford à l’extérieur de l’extension de la grève parce qu’elle avait accepté certaines propositions essentielles en matière de sécurité de l’emploi, comme le droit de grève en cas de fermeture d’usines, ce que notre syndicat n’avait jusqu’à présent jamais obtenu. La semaine dernière, à la dernière minute, Stellantis a accepté le droit de respecter les piquets de grève, sans appel à des « jaunes », et a pris d’autres mesures importantes en matière de sécurité de l’emploi. Aujourd’hui, grâce à notre pouvoir, GM a accepté de jeter les bases d’une transition juste.

Les métiers spécialisés

Pour les métiers qualifiés, les Big Three voulaient donner peu ou rien du tout. Nous nous battons pour une allocation d’outils de 2 $ de l’heure. Désormais, grâce à notre stratégie Stand Up Strike, Ford a cédé à une allocation d’outils de 1,50 $. Stellantis a cédé à 1 $ de l’heure. Mais GM refuse toujours de bouger.

La sécurité de la retraite

Enfin, nous luttons toujours avec acharnement pour obtenir la sécurité de la retraite, tant pour les embauches d’avant 2007 que celles d’après 2007. Pour les membres qui ont une pension, nous savons que vous êtes restés trop longtemps sans augmentation, et nous nous efforçons à ce que cela change. Pour les membres qui n’ont jamais reçu ni pension ni de soins de santé après la retraite, nous nous battons comme des diables pour une véritable sécurité de la retraite. Mais les entreprises se battent elles aussi comme des diables pour que notre retraite reste incertaine et précaire.

En tant que personnes qui donnent leur vie pour ces entreprises, nous n’aurions jamais dû perdre ces droits. Cette grève vise à réparer les fautes du passé et à obtenir justice pour tous nos membres.

Les conditions de travail

Je souhaite également souligner un changement majeur par rapport au passé dans ce cycle de négociations. Pour la première fois, nous sommes sur la bonne voie pour régler toutes les questions soulevées par nos différentes commissions. Cela couvre tous les domaines de la réglementation du travail, à la discipline et aux horaires. Cela comprend les revendications et les propositions que nos membres préparent, et dont nous débattons lors de notre convention d’avant les négociations.

Dans le passé, de nombreux problèmes étaient ignorés. Cette fois-ci, toutes les questions sont sérieusement abordées et nous avons fait beaucoup de progrès dans ces domaines. Nous faisons les choses différemment et nous obtenons des résultats.

C’est donc là où nous en sommes par rapport à certaines de nos principales priorités de négociation. Voici l’essentiel : nous gagnons. Nous progressons. Nous allons dans la bonne direction.

Ce qui a fait bouger les choses, c’est notre volonté d’agir, d’être flexible, d’être agressif quand il le faut et d’être stratégique. Tout au long de cette grève, j’ai été réconforté de voir nos membres parler et débattre de notre stratégie. Nous réfléchissons ensemble à la question centrale du mouvement syndical : comment les travailleurs construisent-ils le rapport de forces dont nous avons besoin pour gagner ce que nous méritons ?

Alors parlons stratégie

Je veux être clair sur une chose : notre objectif tout au long de ce processus a toujours été de gagner un contrat record. Notre mission en tant que dirigeants élus est de nous battre comme des diables pour obtenir le meilleur accord possible. Nous ne faisons pas grève pour le plaisir. Nous savons ce que c’est que de tenir un piquet de grève à 3 heures du matin. Nous savons ce que c’est que de ne pas savoir quand on recevra un vrai salaire.

Les PDG tentent de banaliser notre grève. Ils disent que ce n’est que de la comédie.

Et oui, nous sommes forts et fiers de notre combat. Nous voulons que le public comprenne notre combat et se rallie à nous, comme le montrent sondage après sondage.

Mais il ne s’agit pas de comédie. C’est une question de rapport de forces, la force que nous avons en tant que classe ouvrière. Nous avons montré aux Big Three que nous n’avions pas peur de l’utiliser. Et nous avons montré aux Big Three que nous étions prêts à signer un contrat de haut niveau dès lors qu’ils y seront prêts.

La comédie n’amène pas les entreprises à accepter des augmentations de salaire à deux chiffres.

La comédie ne permet pas de gagner le droit de grève contre les fermetures d’usines.

La comédie ne gagne pas sur l’indexation des salaires sur les prix.

La comédie n’a pas pour conséquence que la fabrication des batteries GM relève de notre accord national.

Ce sont les grèves – et la menace de grèves de la part d’un syndicat unifié – qui font obtenir les résultats espérés. Notre objectif ici n’est pas seulement de taper du poing sur la table et de montrer à la direction à quel point nous sommes en colère. Nous sommes en colère. Et nos membres sont en colère. Et ils ont des raisons de l’être Nous l’avons clairement fait savoir à ces entreprises lors des négociations.

Et cette colère a fait bouger jusqu’à un certain point ces entreprises. Mais notre objectif n’est pas seulement de nous mettre en colère et de tout arrêter. Notre objectif est, en déjouant leurs manœuvres, de gagner contre les grandes firmes aux États-Unis.

Je me souviens des paroles du révérend Martin Luther King Jr., réfléchissant sur l’UAW d’une génération précédente. Le Dr King déclarait : « Le pouvoir est la capacité d’atteindre un objectif, le pouvoir est la capacité d’influer sur le changement et nous avons besoin de pouvoir. »

Qu’est-ce que le pouvoir ? Walter Reuther a dit un jour que « le pouvoir est la capacité d’un syndicat comme l’UAW à faire dire oui à l’entreprise la plus puissante du monde – General Motors – quand elle veut dire non ».

C’est le pouvoir. Je vais vous le dire clairement : les milliardaires et les dirigeants des entreprises pensent que nous, les travailleurEs de l’automobile, sommes stupides. Ils pensent que nous comprenons seulement les ordres d’un contrôleur qui nous crie dessus.

Ils me regardent et me voient comme un plouc de l’Indiana. Ils vous regardent et vous voient comme des gens qu’ils n’inviteraient jamais à dîner, à monter sur leur yacht ou à voler dans leur jet privé.

Ils pensent savoir. Mais nous, les travailleurEs de l’automobile, nous savons mieux.

Nous sommes peut-être grossiers, mais nous sommes des stratèges.

Nous pouvons être excités, mais nous sommes disciplinés.

Nous sommes peut-être tapageurs, mais nous sommes organisés.

Il ne s’agit pas simplement de sortir le bazooka. Nous avons été très prudents quant à la manière dont nous avons intensifié cette grève. Nous avons conçu cette stratégie pour accroître la pression sur les entreprises – non pas pour leur nuire en soi, mais pour les faire bouger. Pour leur faire dire oui quand ils voulaient dire non.

Aujourd’hui en est un parfait exemple. Nous connaissons leurs points faibles. Nous savons d’où viennent leur argent. Nous connaissons les usines qu’ils ne veulent vraiment pas voir touchées par la grève. Et ils savent qu’il nous reste encore des cartes à jouer. Nous ne laisserons pas une de ces trois entreprises prendre du retard et attendre les changements de la part des autres.

Nous ne les laisserons pas rester les bras croisés et nous rabaisser pendant que les autres progressent. Nous attendons des résultats dans chaque entreprise. Nous avons été très clairs sur les raisons de déclencher une grève et de l’éviter.

Il y a deux semaines, Ford a accepté certaines propositions essentielles en matière de sécurité de l’emploi, nous montrant ainsi qu’il était prêt à négocier.

La semaine dernière, Stellantis a fait de même.

Cette semaine, GM a fait quelque chose qui était impensable jusqu’à aujourd’hui : ils ont accepté de placer l’avenir de cette industrie dans le cadre d’un accord national. Cette victoire est le résultat direct de la force de nos membres.

C’est votre volonté de vous lever lorsqu’on vous appelle. C’est votre engagement à gagner ce qui vous est dû.

Les entreprises le voient. Le monde le voit. Aujourd’hui, j’étais prêt à appeler l’une des usines les plus grandes et les plus importantes de GM à la grève. C’est cette menace qui a amené GM à la table des négociations.

Les Big Three savent que nous ne plaisantons pas. Ils savent que s’ils veulent éviter de nouvelles grèves, ils devront bouger.

J’ai entendu des membres vouloir frapper un grand coup. Mettre en grève toutes les usines de camions. Frapper les Big Three là où ça fait mal. Il y a un moment et un lieu pour cela. Et croyez-moi : si les Big Three ne continuent pas à progresser, ce moment viendra bientôt.

Nous n’allons pas attendre éternellement. Nous ne sommes pas là pour commencer un combat, nous sommes là pour en terminer un.

Aux négociateurs des Big Three, nous nous reverrons à la table de négociation.

Demain, nous rejoindrons notre famille syndicale en grève à Chicago pour un Stand Up Rally.

Aujourd’hui, nous avons fait dire oui à GM alors qu’il aurait préféré dire non. La suite, c’est Ford, Stellantis et trois contrats records.

Merci.

Traduction NPA Auto Critique. Source : le site de l’UAW.

  • 1. Lundi 23 octobre, l’UAW a appelé les syndiqués de l’usine Stellantis Shap situé à Sterling Heights dans le Michigan à se joindre à la grève « stand up » soit 6 800 travailleurs supplémentaires appelés à la grève dans  l’usine la grande et plus lucrative de Stellantis aux États-Unis.