Publié le Jeudi 1 juin 2023 à 08h00.

Victoires indépendantistes en Polynésie française

Pour la première fois, le 30 avril, les indépendantistes polynésiens du Tavini viennent de devenir solidement majoritaires à l’Assemblée territoriale. Cela confirme une réelle modification du paysage politique dans l’archipel, marqué l’année dernière par la victoire du Tavini pour les trois sièges à l’Assemblée nationale française, les trois députés siégeant dans le groupe GDR (communistes et outre-mer)-Nupes.

Depuis sa fondation en 1977, autour d’Oscar Temaru, le FLP (Front de libération de la Polynésie), puis Tavini huira’atira, s’est situé dans un combat pour la décolonisation, l’indépendance pour les 300 000 habitantEs de l’archipel appelé Polynésie française. Ce combat s’est traduit notamment par la réinscription du pays dans la liste de l’ONU des territoires à décoloniser, et surtout dans le combat contre les essais nucléaires.

La question nucléaire

L’impérialisme français bénéficie avec la Polynésie française d’une zone économique exclusive (ZEE) de 4,5 millions de km2, soit près de 40 % de la surface totale de 11,6 millions de km2 qui fait de la France la première ZEE avant les États-Unis. La France a toujours bloqué tout processus d’indépendance et garde une mainmise régalienne sur le territoire (monnaie, justice, armée et police, diplomatie).

Concernant les essais nucléaires, la France, obligée par la révolution de cesser en 1966 les essais dans le sud algérien, décida d’imposer à la Polynésie 193 explosions aériennes puis souterraines de 1966 à 1996, après avoir songé aux Alpes françaises, à la Corse, à la Réunion et la Nouvelle-Calédonie. Alors que les droites gaulliste et autonomiste polynésiennes ont toujours soutenu les essais et la lourde présence d’une économie de garnison (à travers le Centre d’essais du Pacifique rassemblant 10 000 métros et des milliers de Polynésiens), le Tavini a toujours combattu les essais nucléaires, portant même devant la CPI, en 2018, une plainte contre la France pour crime contre l’humanité.

Résultats spectaculaires

Si, à plusieurs reprises depuis 2004, Oscar Temaru, principal fondateur du Tavini huira’atira-FLP en 1977, a pu être provisoirement président de la Polynésie, il n’y a jamais eu de majorité indépendantiste stable à l’Assemblée territoriale. L’élection de 2023 a vu l’effondrement du camp autonomiste (le Tapura d’Édouard Fritch et le Taho’era’a de Gaston Flosse) passant de 77 % des voix en 2018 à 38,5 % en 2023, alors que le Tavini passait lui de 23,1 % à 44,3 %. Le système électoral polynésien, avec un bonus à la liste arrivée en tête, donne 38 sièges sur 57 au Tavini, et le poste de président de la Polynésie, qui détient le pouvoir exécutif (élu par l’Assemblée), vient de revenir à Moetai Brotherson.

Ces résultats spectaculaires s’expliquent moins par une poussée soudaine de la revendication d’indépendance que par le rejet du système Fritch-Flosse, soutiens locaux de Macron et des Républicains, avec une gestion calamiteuse de la pandémie et surtout une lourde aggravation des conditions de vie pour la population. D’ailleurs, l’activité et la campagne du Tavini se sont centrées sur le pouvoir d’achat, manifestant sa solide implantation dans les classes populaires de l’archipel.

Crise sociale majeure

Dès avant la flambée de l’inflation en 2022, les PolynésienEs vivaient dans une situation économique déplorable avec des salaires inférieurs, en moyenne, de 40 % à la France, pour un coût de la vie 40 % supérieur, dû notamment à la lourde place des importations, y compris le carburant alimentant les centrales thermiques. Cela n’a fait que s’aggraver depuis un an avec une inflation officielle de 8,5 % en 2022, mais pesant largement plus pour les denrées alimentaires et l’énergie. Les valeurs moyennes ne rendent pas compte des revenus d’une grande partie de la population, une personne sur deux en âge de travailler étant sans emploi, le taux de pauvreté était officiellement de 21,9 % en 2019. Les familles vivant sous le seuil de pauvreté disposaient en 2015, en moyenne, de 1 200 euros pour un foyer de six personnes. De plus, le système social et fiscal polynésien est géré par les lois locales : il n’y a ni impôt sur le revenu ni droits de succession ni ISF, l’impôt sur les sociétés peut être facilement contourné, tout cela limitant largement les ressources de la redistribution sociale et maintenant de lourdes inégalités sociales. La dernière enquête « budget des familles » réalisée par l’ISPF (Institut des statistiques de la Polynésie française) en 2015 montrait une société deux fois plus inégalitaire qu’en France : les 10 % les plus riches bénéficient de revenus en moyenne neuf fois supérieurs aux 10 % les plus pauvres.

Le nucléaire, toujours

De plus, malgré de grandes déclarations de Macron sur la « dette nucléaire » les conséquences des 30 ans d’essais nucléaires ne sont toujours pas assumées par la France qui bloque l’immense majorité des dossiers d’indemnisation, minimise la part de la population touchée par les radiations, de même que ses descendants et ne prend pas en compte les lourdes charges que subit la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie. En 2021, la Caisse estimait avoir dépensé 670 millions d’euros pour les maladies radio-induites, alors que les femmes polynésiennes, entre 40 et 50 ans, ont le taux de cancer de la thyroïde le plus élevé du monde. Ce dossier sera sans doute un des premiers soulevés par la nouvelle majorité de l’Assemblée.

Il est clair que si les indépendantistes comptent garder le cap d’une indépendance à moyen terme (10 à 15 ans) du pays, ils ont comme ligne politique d’imposer un partenariat contraignant la France à prendre en compte sa dette et avancer dans un processus créant les conditions économiques et sociales de l’indépendance.