Publié le Jeudi 13 juillet 2023 à 10h22.

Police et extrême droite, l’œuf et la poule

Ces derniers jours, dans la foulée du meurtre du jeune Nahel à Nanterre, la question du poids de l’extrême droite dans les forces de police est revenue dans le débat public, comme cela avait été le cas lors de la dernière présidentielle avec les enquêtes sur les (intentions de) votes des policiers et des gendarmes.

Un communiqué outrancier des syndicats Alliance et Unsa-Police a favorisé cette mise à l’agenda, tant le ton et les termes empruntaient directement à la rhétorique de l’extrême droite la plus rance, avec notamment la dénonciation de « hordes sauvages », de « nuisibles » ou de la « chienlit ». Et l’on pense évidemment aussi à un autre communiqué, celui du groupe « France Police », félicitant « [les] collègues qui ont ouvert le feu sur un jeune criminel de 17 ans », encore plus violent et nauséabond.

L’institution et les individus 

Les déclarations se sont ainsi multipliées, à gauche, dénonçant le poids croissant, idéologiquement et numériquement, de l’extrême droite dans les forces de police. Un constat, à bien des égards lucide, et des inquiétudes légitimes qui passent néanmoins à côté d’un enjeu qui nous semble incontournable. En effet, la conclusion (logique) de ces prises de position est qu’il faudrait réformer et/ou — dans une version radicale — « purger » la police pour faire reculer, voire disparaître, l’extrême droite en son sein, comme si le problème pouvait être circonscrit à de mauvais individus, de mauvais syndicats et de mauvaises pratiques. 

Le rôle de la police en tant qu’institution n’est que très rarement interrogé, et il en va de même des dynamiques qui la caractérisent aujourd’hui, notamment sa place prépondérante dans le maintien d’un système de domination bourgeoise en crise, mais aussi ses logiques d’autonomisation. Comme si la relation entre, d’une part, des individus et des pratiques et, d’autre part, une institution, était à sens unique. Comme si l’institution n’était pas elle-même productrice d’un environnement favorable au développement, en son sein, des idées et des pratiques de l’extrême droite.

Schématiquement : est-ce parce qu’il y a de plus en plus de policiers d’extrême droite que l’institution policière est en cours de fascisation ou est-ce parce qu’elle est en cours de fascisation que l’institution policière charrie en son sein de plus en plus de policiers d’extrême droite ?

Fascisation de la police

On ne peut certes ignorer qu’une institution qui incarne « ordre » et « autorité » a tendance à attirer des individus disposés à accomplir des tâches répressives, y compris violentes. Mais ce serait passer à côté de l’essentiel que de faire l’impasse sur le fait que la police en tant qu’institution produit des normes, des idées, des pratiques, et qu’elle transforme les policiers eux-mêmes. Les travaux de recherche sociologique et historique le démontrent largemen1.

Dans une situation de crise d’hégémonie et de fragilisation des dispositifs de la domination bourgeoise, la police occupe une position de plus en plus centrale, répressive, tournée contre les « classes dangereuses », avec une latitude toujours plus grande accordée par les pouvoirs politiques et, dès lors, des formes de prise d’autonomie. 

En ce sens, la police est de plus en plus amenée à jouer l’un des rôles historiques des organisations fascistes : résoudre, dans un contexte de crise économique, une crise de domination de la démocratie parlementaire bourgeoise en neutralisant, par la violence, la contestation politique et sociale. Ainsi : « La police ne se fascise donc pas dans son fonctionnement parce qu’elle serait progressivement grignotée par les organisations fascistes. Au contraire, c’est parce que tout son fonctionnement se fascise — évidemment à des degrés inégaux selon les secteurs — qu’il est si facile pour l’extrême droite de diffuser ses idées en son sein et de s’implanter. » 2 Il est à ce titre significatif que, dans plusieurs villes, à l’occasion des récentes révoltes urbaines, police et groupes fascistes aient agi côte à côte, voire de concert.

  • 1. Lire par exemple Paul Rocher, « Derrière la mort de Nahel, l’institution policière », contretemps.eu, 30 juin 2023, ou Emmanuel Blanchard, « Il n’y a effectivement plus de voix de gauche qui portent à l’intérieur de la corporation policière », Bastamag, 20 juillet 2020.
  • 2. Ugo Palheta, « Fascisme. Fascisation. Antifascisme. », contretemps.eu, 28 septembre 2020.