Publié le Jeudi 5 mai 2011 à 09h19.

France Télécom : la machine à broyer continue

Après le suicide d’un salarié de France Télécom, rien ne semble avoir changé dans l’entreprise. Jean-Michel Gendek, salarié de France Télécom à Bordeaux et militant SUD, en témoigne. Un collègue, délégué CFDT, s’est immolé sur le parking de l’agence France Télécom de Mérignac (banlieue bordelaise). Comment peut-on en arriver là ?L’exploitation et l’humiliation sont présentes chez de nombreux salariés de France Télécom. D’abord parmi le personnel le plus exposé et fragilisé, dans les centres d’appels, les boutiques, les services d’interventions, où la pression est forte vu les résultats commerciaux et financiers attendus par l’employeur, mais pas seulement. Le malaise est plus profond. Le cas de notre collègue Rémy Louvradoux qui nous a quittés de manière violente en est la preuve. Il n’était pas directement en contact avec le client, ni en poste d’encadrement avec les difficultés et les contradictions difficiles à vivre. Et pourtant le drame est arrivé, preuve que la politique de gestion du personnel touche l’ensemble des activités et des salariés. L’esprit d’équipe qui existait encore dans les années 1990 a disparu avec les différentes réformes, faites pour isoler. L’individualisation est partout, les entretiens avec les managers, devenus la règle, s’appuient sur une politique basée sur les enjeux boursiers, la concurrence, la nécessité d’être le meilleur opérateur de réseaux, d’accaparer les parts de marché à l’étranger... Notre collègue, militant CFDT, avait dénoncé ces dérives dans un courrier de six pages adressé à la direction en 2009. Celui-ci était resté sans réponse, comme ceux de tous les agents qui écrivent à leur hiérarchie, alors qu’il dénonçait : « ceux qui sont abandonnés et contraints de faire face à l’échec au quotidien sont très mal ». Pire, ce collègue a été mis au placard pendant près d’un an. C’est dire combien le personnel peut à un moment se sentir exclu, dévalorisé. Face à la colère, Stéphane Richard, directeur général de France Télécom, a parlé de « tirer toutes les conséquences ». D’autres l’avaient fait avant, et en 2009 et 2010, il y a eu 46 suicides de salariés dans l’entreprise, deux en 2011. Ce geste de désespoir témoigne qu’il s’agit toujours de la même machine à broyer. Depuis 2004 nous dénonçons cette Machine à broyer, qui était d’ailleurs le titre d’un livre de Dominique Decèze, qui évoquait déjà la vague de suicides qui commençait à France Télécom.Les PDG qui se sont succédé ont tous mené la même politique de rentabilité pour générer des milliards de profits, avec des dividendes versés chaque année aux actionnaires, au détriment des salariés et des investissements dans les infrastructures du réseau. Actionnaires et banques se frottent les mains et le bilan est catastrophique pour le service public (ou ce qu’il en reste) et les salariés. La crise sociale en interne ne fait à mon avis que commencer quand on voit ce qui se profile : séparation des réseaux et des services, entente et rachat des groupes européens et mondiaux avec plans de suppressions de postes à la clé. Tout ça après les réorganisations à France Télécom depuis les années 1980, que n’ont pas réussi à empêcher les luttes importantes contre la privatisation. La réaction des collègues et de la famille a été immédiate. Comment les salariés, les organisations syndicales voient-elles la suite ?La famille a contacté un militant SUD, ancien collègue et ami du fils de Rémy. Elle était présente au rassemblement du personnel devant la direction d’Orange à Bordeaux, bien que sous le choc et l’émotion, et n’a pas l’intention d’en rester là. Elle est convaincue que ce geste est politique. Son immolation par le feu revêt une dimension très forte. On peut faire, à une autre échelle, un parallèle avec l’immolation de Mohamed Bouazizi en Tunisie. Il nous laisse à nous, salariés, syndicats, un message qui est un appel à réagir. Si les réactions après la vague de suicides de 2008 et 2009 ont obligé la direction à geler certains projets (fermetures de sites, mobilité forcée des salariés), les causes du malaise sont encore là. La pression dans les services n’est pas née subitement, c’est celle d’une politique patronale de rendements financiers imposée par les actionnaires, dont l’État pour 25 % du capital. Notre action et nos mobilisations doivent s’appuyer sur des revendications fondamentales : la renationalisation du secteur des télécommunications, un service public de qualité, pour sortir de cette course folle aux profits. C’est à cette seule condition que nous pourrons envisager de mettre en échec cette machine à broyer qui amène des salariés à mettre fin à leurs jours sur leur lieu de travail. Propos recueillis par Isabelle Ufferte