Publié le Dimanche 13 février 2022 à 13h00.

Le capitalisme, à la source des déséquilibres agricoles et alimentaires

Le capitalisme, à la source des déséquilibres agricoles et alimentaires, génère plusieurs violences. Mondialisée, la filière alimentaire s’appuie sur un passé d’exploitation coloniale et sur des rapports inégalitaires entre pays. Les matières premières agricoles sont un objet de spéculation comme un autre sur les marchés financiers. La crise du covid a entraîné des perturbations dans la production alimentaire et une hausse des prix mondiaux de 40 %.

Violence alimentaire

La violence alimentaire empêche une personne d’accéder à son droit à l’alimentation, ce qui donne lieu à des atteintes physiques et morales. C’est une violence structurelle, qui veut faire peser la responsabilité de la situation sur la personne impactée, laquelle doit fournir des efforts pour mieux se nourrir, afin de prévenir ses problèmes de santé (diabète, obésité...), alors que ce sont les causes de la situation qui doivent être modifiées.

22 % des ménages avec enfants, en France, sont en situation d’insuffisance alimentaire, le budget alimentaire devenant une variable d’ajustement, compte tenu de l’augmentation des charges d’un budget domestique.

Dans le monde, l’alimentation est un moyen pour les classes dominantes d’asseoir leur pouvoir. La faim peut être une arme de guerre, alors que le droit à l’alimentation apparaît dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, mais sans aucun encrage législatif en France.

Il s’agit d’une violence physique et psychologique, tant pour les bénéficiaires que pour les bénévoles quand celleux-ci prennent conscience de ce système.

Violence contre les paysanEs

La violence est aussi subie par les paysanEs et les travailleurEs de la filière. C’est l’ensemble de la filière alimentaire qui est à considérer, non seulement les parties production et consommation, mais aussi transformation et distribution.

Les rapports de domination, d’exploitation et de classe sont bien présents dans chaque pan de cette filière : beaucoup de salariéEs, souvent étrangerEs, exploitéEs, (saisonnierEs agricoles, travailleurs et travailleuses en abattoirs, dans la grande distribution, travail forcé dans certains pays, travail gratuit des femmes).

Les paysans et paysannes, dans le monde, représentent 570 millions de personnes, les femmes produisant 70 % de la nourriture. En France, isoléEs, mal rémunéréEs pour le travail difficile qu’ils et elles effectuent (un tiers des paysanEs touchait moins de 350 euros par mois en 2016), frustréEs de ne plus pouvoir nourrir correctement la population, ils et elles vivent aussi une violence extrême. En 2019, un agriculteur se suicidait chaque jour.

L’engrenage de la mécanisation et de l’endettement afin d’augmenter les volumes de production compte tenu de la baisse à l’achat des prix agricoles, imposée par les distributeurs, est bien connu.

Un quart des exploitations agricoles en France a cessé ses activité entre 2010 et 2015. L’accès au foncier, très difficile pour les jeunes qui souhaitent s’installer, ne permet plus d’assurer le renouvellement des activités agricoles.

La figure du paysan, indépendant et libre, est un mythe : la grande majorité des agriculteurs se rémunère grâce à la Politique agricole commune (PAC) européenne. Dans le même temps, leſ payſanEſ ne perçoivent que 6,2 % du revenu de la filière agro-alimentaire.

Actuellement, la très grande majorité de la population se nourrit via les circuits de la grande distribution. La distribution alimentaire est détenue en France à 90 % par six grands groupes, Auchan, Système U, Carrefour, Leclerc, Intermarché et Casino, pour un chiffre d’affaires, sur l’alimentation, de 19 milliards d’euros.

Contre un système alimentaire à deux vitesses

À côté de ce mode de distribution, l’agriculture dite paysanne est contenue dans un marché segmenté. Avec les alternatives à l’agro-industrie (AMAP, marchés de producteurs, coopératives...), se développe un système alimentaire à deux vitesses : d’un côté une alimentation de qualité issue de modes de production et de distribution alternatifs, et de l’autre des produits de mauvaise qualité qui ont un impact négatif sur la santé et l’environnement.

Le projet de sécurité sociale de l’alimentation consiste à mettre en place un système agricole et alimentaire qui permette de répondre aux besoins de la population, d’assurer l’accès à une alimentation de qualité, choisie, en l’articulant au droit à un revenu pour les travailleurs de l’alimentation, de la production à la distribution, et au respect de l’environnement.

En prenant comme modèle la sécurité sociale instituée par l’ordonnance de 1945, il s’agirait de sanctuariser, via une carte vitale de l’alimentation, un budget de 150 euros par mois et par personne, utilisable auprès de professionnelEs, conventionnés selon des critères sociaux et écologiques, définis démocratiquement. Le budget nécessaire, évalué à 118 milliards par an, serait financé par des cotisations patronales et/ou salariales.

Si le projet de Sécurité sociale alimentaire est porté par un large collectif, c’est, semble-t-il, ISF-Agrista (Ingénieurs sans frontières)1, la Confédération paysanne2, le réseau CIVAM (Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) et Réseau salariat qui portent les réflexions les plus avancées même si touTEs ces militantEs insistent sur l’aspect chantier du projet. L’ensemble du collectif3, à travers son « socle commun »4 reprend largement les analyses de fond de Bernard Friot, tout en maintenant le débat ouvert sur bien des points importants.

  • 1. https ://www.isf-france.org/artic…
  • 2. Revue Campagnes solidaires, mensuel de la Confédération paysanne, n° 364, septembre 2020, pages 14 à 22.
  • 3. Les membres du collectif : ISF-Agrista, Réseau CIVAM, Réseau salariat, Confédération paysanne, Les Ami.es de la Confédération paysanne, le Collectif démocratie alimentaire, l’Atelier paysan, Ardeur, Mutuale, l’UFAL et VRAC. Réseau salariat est une association d’éducation populaire qui se fonde sur les travaux de recherche de Bernard Friot pour penser un projet de société permettant la sortie du modèle capitaliste, en s’appuyant sur les mécanismes déjà existants, en particulier le régime général de Sécurité sociale. Le projet de Réseau salariat se base sur quatre objectifs phares : l’attribution d’un salaire à vie comme droit politique, l’abolition de la propriété lucrative tout en préservant la propriété d’usage des moyens de production, la création de caisses d’investissement et le renforcement de caisses de service public.
  • 4. https://securite-sociale…