Publié le Mardi 12 août 2014 à 08h15.

Aujourd’hui foutez-nous la paix

On voit gicler de le groseilleDu raisin, du jus de soldatÀ chaque morsure d’abeilleÀ chaque pruneau, chaque éclat...L’arrosoir, la machine à poudreFait sa couture au barbeléComme la machine à découdreÀ piqué autant d’épilésQue de vrais poilus, s’il vous plaîtAujourd’hui foutez-nous la paixAssez des sombres clarinettesQui plantent leurs notes d’acierLes ventres pour ces baïonnettesSont des boyaux à tricoterLe masque comme un groin sur la boucheLeur fait des têtes de cochonLa tombe est faite, le corps se coucheLes gaz montent au cabochonComme la moutarde, s’il vous plaîtAujourd’hui foutez-nous la paixPlus de victoires sur des ruinesJamais plus de galons gagnésSur les vestes plus de sardinePlus de boucherie célébréeDeux bons gros millions de bonshommes Morts, et deux fois plus de blessésVerdun et la Marne et la SommePlus de six obus balancésAu mètre carré, s’il vous plaîtAujourd’hui foutez-nous la paixQue ces mots là on les supprimeBleusaille, artiflot, purotinQue ces gens-là on les périmeNivelle, Mangin ou PétainNivelle qui écrit et qui signeQu’il faut finir avant le blancTout le sang noir de nos lignesC’est normal, ça n’est que du sangDe Sénégalais, s’il vous plaîtAujourd’hui foutez-nous la paixSi d’aventure ils fraternisentCes poilus, qu’il se mettent en trêveLe chant de Craonne est de miseQui dit son appel à la grèveLes généraux, les sanguinairesFusillent ces petits troupiersPayez de votre peau la guerreLes pauvres sont faits pour aimerMessieurs les riches, s’il vous plaît Aujourd’hui foutez-nous la paixS’ils l’ont chanté cette rengaineLes pioupious qui ont survécuL’horreur a repris de la graineEt le siècle en est revenuLa mort a déroulé, perfideÀ petits massacres comptésÀ grands coups, à grands génocidesSon torchon jusque sous nos piedsUne fois pour toutes, s’il vous plaîtMaintenant foutez-nous la paix.

Rémo Gary

(Le mot « épilé » pour désigner la relève, c’est-à-dire ceux qui arrivaient sur les lignes rasés plus fraîchement. Mot à la fois terrible et poétique au fond. NDLA)