Publié le Dimanche 24 septembre 2023 à 11h00.

Komeda, de Joachim Kühn New Trio

Act, 2023, 17,90 euros.

Le pianiste allemand Joachim Kühn pratique depuis soixante ans avec succès tous les styles de jazz. Son dernier disque en groupe a été enregistré en concert à Berlin et est tout entier consacré au compositeur polonais Krzysztof Komeda.

Il nous rappelle ainsi que, au moment de fuir sa RDA natale dans les années 1960, il avait déjà passé un temps en Pologne. C’est là qu’il rencontre Komeda qui enregistrait Astigmatic, salué par certains comme le meilleur disque de jazz jamais réalisé dans le pays, avec une influence internationale majeure.

L’occasion pour beaucoup d’entre nous d’apprendre que, bien avant la chute du Mur, existaient en Pologne des artisans d’un jazz radical, fiévreux et sophistiqué. En effet, de jeunes musiciens — nulle femme repérée dans cette histoire — se sont attelés dès la fin de la guerre à pratiquer une musique très mal vue par des autorités sous influence stalinienne. Mais Komeda aura bien autre chose à faire que de préférer un impérialisme à un autre. Sa singularité mélodique, il la doit en partie à l’influence de la musique folklorique, et il s’imposera internationalement comme un défenseur pionnier du jazz européen face à l’hégémonie américaine.

En 2011, son jeune compatriote Leszek Możdżer lui rendait déjà hommage sur le mode intimiste du piano solo1. Possible que l’aîné allemand se soit dit qu’il était grand temps qu’il fasse lui aussi son Komeda, mais différemment. Une comparable inventivité dans la relecture amoureuse de cette musique, mais surtout une implacable énergie, une virtuosité tranquille de chaque interprète et un amusement audible à chaque note. L’Atom String Quartet n’est pas là pour ajouter une couleur « slave » au trio habituel piano-basse-batterie ; il est indissociable de l’écriture des arrangements — pour le moins classieux — et de cette formidable vitalité collective.

Chez nous, Krzysztof Komeda est presque exclusivement connu comme compositeur de nombreuses musiques de films, et ce grâce à sa très fructueuse collaboration avec Polanski de 1958 à 1968. Il meurt accidentellement en 1969, à 37 ans, peu après avoir livré le thème génial et tragique de Rosemary’s baby. Aujourd’hui à nouveau revisitée, sans effet de manche, par Kühn et ses complices, cette valse triste s’échappe définitivement de l’histoire du cinéma pour n’être plus que musique pure. Osons le dire : une des plus belles.