Publié le Mercredi 20 décembre 2017 à 09h42.

Des « dix jours qui ébranlèrent le monde » à la contre-révolution stalinienne (1917-1924)

Sept années se sont écoulées entre la prise de pouvoir par les soviets et le début de sa liquidation par la contre-révolution stalinienne, en 1924. Les facteurs qui expliquent ces évolutions de la société soviétique sont extrêmement nombreux et complexe, mais le premier d’entre eux est à chercher sur le terrain de la lutte des classes, aussi bien à l’échelle de la Russie qu’à l’échelle mondiale, dont la révolution russe n’était en fin de compte que le premier épisode.

Octobre 17, les premiers décrets de l’Etat ouvrier

Le 7 novembre 1917 (25 octobre dans l’ancien calendrier russe), la situation de double pouvoir entre les institutions républicaines et les soviets prend fin. Au fil des mois, les bolcheviks étaient apparus aux yeux des masses comme le seul parti ayant la volonté de répondre à leurs exigences, « le pain, la paix, la terre ». Elles avaient fait l’expérience de la nécessité de liquider le régime de février et s’étaient appropriées le mot d’ordre défendu par Lénine depuis son retour d’exil en avril 1917 : « tout le pouvoir aux soviets ».

Un gouvernement provisoire, « conseil des commissaires du peuple » composé de bolcheviks et présidé par Lénine, est élu par le 2ème congrès panrusse des soviets. Des représentants du parti socialiste-révolutionnaire de gauche y entreront quelques semaines plus tard. Dès sa prise de fonctions, ce gouvernement prend une série de décrets. Concernant la terre, les paysans sont invités à continuer ce qu’ils ont déjà commencé : se servir eux-mêmes, chasser les grands propriétaires fonciers, se partager leurs terres. Concernant la paix, un appel est lancé auprès des divers belligérants de la Première Guerre mondiale pour un armistice immédiat. Le secret diplomatique est aboli. Les soldats pour invités à désobéir à leurs officiers et à engager directement, de tranchée à tranchée, une campagne pour la cessation des combats.

Concernant le pain, il s’agit de lutter contre la corruption dans une société ruinée et désorganisée par la guerre, de renforcer le contrôle ouvrier sur les entreprises, de libérer les paysans de leurs dettes et de prendre le contrôle des banques, d’organiser la distribution des ressources… Une tâche d’autant plus difficile que l’Etat ouvrier se heurte au sabotage des couches sociales hostiles à la révolution : patrons d’entreprise, fonctionnaires des ministères, travailleurs des chemins de fer et des services de communication qui refusent d’exécuter les ordres du pouvoir, alors que le pays est confronté à la guerre impérialiste et à la guerre civile. Il y répond en faisant appel à l’initiative des masses, en incitant les travailleurs à régler directement les problèmes de l’Etat, à leur niveau. 

Le 20 décembre 1917 est créée la Tcheka, « commission de lutte contre le sabotage et la contre-révolution ». Elle deviendra, sous le nom de Guépéou, un des outils de répression de la contre-révolution stalinienne. Elle est à son origine une arme que se donne le pouvoir soviétique, en s’appuyant sur le prolétariat organisé et armé, pour mettre fin au sabotage économique, contraindre les cheminots à faire rouler les trains, les agents du télégraphe à transmettre les communications, permettre à l’Etat ouvrier de fonctionner, de faire face à ses ennemis.

Par ailleurs, du fait des annexions territoriales multiples menées par la Russie des tsars, la question des nationalités mine la société. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est proclamé. Ils sont invités, en même temps, à construire, avec la Russie des soviets, ce qui deviendra en 1922 l’Union des républiques socialistes soviétiques.

 

Sortir de la guerre impérialiste, Brest-Litovsk

Le 26 novembre 1917, sans réponse à son appel à un armistice général, le pouvoir soviétique adresse une demande d’armistice à l’Allemagne et ses alliés. Elle est acceptée et prend effet le 15 décembre pour une durée de deux mois. Les négociations pour un traité commencent le 22 décembre à Brest-Litovsk, en Biélorussie. 

Trois positions s’affrontent au sein du pouvoir à propos de ce traité. Pour Lénine, il faut en finir immédiatement avec la guerre, signer la paix aux conditions posées par l’Allemagne et ses alliés. Pour Trotsky, qui conduit les négociations, c’est « ni guerre ni paix ». Il veut, comme Lénine, cesser les combats au plus vite, mais signer la paix, c’est permettre à l’empire allemand de regrouper ses forces sur un seul front et ainsi prolonger l’hécatombe dont sont victimes les soldats des deux bords. L’Etat ouvrier ne doit pas signer de traité qui se retournerait contre ses frères de classe anglais, allemand ou français, à moins que la démonstration ne soit faite que son avenir est en jeu. Il doit simplement cesser le combat et appeler les soldats des autres pays à en faire autant. Un troisième courant, celui des « communistes de gauche » (avec Boukharine, Ossinski et d’autres) qui se constituent en fraction, veut mener une « guerre révolutionnaire » en s’appuyant sur l’effervescence sociale qui règne déjà, en particulier en Allemagne.

Lénine se rallie alors à Trotsky. Le 10 février, la délégation des soviets quitte les négociations en annonçant que ses troupes cessent le combat. Le 22 février, fin de la période d’armistice, les armées allemandes reprennent l’offensive. L’avancée est fulgurante et conduit le front à quelques dizaines de kilomètres de Pétersbourg. Sous la menace, le gouvernement soviétique déplace son siège à Moscou. Pour Lénine et Trotsky, démonstration est faite aux yeux des classes ouvrières internationales de la traîtrise de l’empire allemand.

Le 3 mars 1918, Trotsky signe sans le lire le traité qui lui est présenté et entérine la perte de l’Estonie, de la Lettonie et de l’Ukraine. Cela correspond à 26 % de la population totale, 27 % de la superficie, 26 % des voies ferrées, 75 % de la production d’acier et de fer de l’ancien empire russe.

 

Vers l’isolement des bolcheviks au sein du pouvoir soviétique

Jusqu’à la prise du pouvoir, en novembre 1917, socialistes-révolutionnaires, mencheviks, bolcheviks, anarchistes de divers courants participaient à la démocratie soviétique qui s’était structurée au cours des mois de révolution et s’était fédérée dans un « congrès panrusse des soviets ». Le second de ces congrès a pris acte du renversement de Kérensky, décrété « tout le pouvoir aux soviets », élu le « conseil des commissaires du peuple » qui allait désormais assumer le gouvernement de l’Etat, en lien avec un comité exécutif permanent de plusieurs dizaines de membres.

Cette décision entraîne une scission des Socialistes-révolutionnaires en SR de gauche, qui participeront durant quelques mois au gouvernement aux côtés des bolcheviks, et SR de droite, qui s’en éloignent pour mener, avec les mencheviks, une opposition ouverte au pouvoir soviétique, pour le retour à la « démocratie », c’est-à-dire à la république bourgeoise que la révolution d’octobre a renversée.

Ils comptent pour cela sur une Assemblée constituante qui, suite à une décision prise en juin par Kérensky, se réunit les 16 et 17 janvier 1918. Les élections s’étaient tenues en décembre selon des modalités ayant donné une majorité aux SR de droite et aux mencheviks. Cette majorité, refusant d’entériner les mesures prises par le pouvoir soviétique, prétend au contraire les abolir et affirmer la suprématie de la Constituante sur les Soviets. C’est ouvertement la volonté de renverser l’Etat ouvrier, de restaurer l’Etat bourgeois.

Le 17 janvier 1918, le pouvoir soviétique y répond en dissolvant l’Assemblée constituante, décision entérinée par le 3ème congrès des soviets qui se réunit quelques jours plus tard. Cela marque la rupture définitive avec les partis menchevik et SR de droite, dont certains membres lieront sans tarder des alliances avec la contre-révolution blanche.

Lors du 4ème congrès des soviets, qui débute le 15 mars 1918, les communistes de gauche et les SR de gauche quittent le gouvernement. La cause en est leur opposition à la signature du traité de Brest-Litovsk que, partisans de la guerre révolutionnaire, ils considèrent comme une capitulation. Les communistes de gauche rentreront assez vite dans le rang mais les SR de gauche, le 6 juillet 1918, assassinent l’ambassadeur d’Allemagne en Russie et organisent dans le même temps un soulèvement à Moscou, qui est rapidement réduit.

Le 30 aout 1918, les SR de droite assassinent le chef de la Tcheka de Petrograd et organisent un attentat contre Lénine, qui est grièvement blessé. Le 6 septembre 1918, ils constituent un « directoire » gouvernemental en exil, postulant au remplacement du gouvernement soviétique lorsque les armées blanches en auront fini avec lui.

Ce même 6 septembre, le gouvernement soviétique proclame la « terreur rouge ». Les bolcheviks, désormais seuls à assumer le pouvoir, ne se font pas d’illusions. Ils savent que si la contre-révolution l’emporte, la vengeance sera impitoyable. Les masses russes, elles, en font l’expérience directe, par la sauvagerie de la répression des troupes blanches. La peine de mort avait été abolie par la révolution de février mais, avec la guerre civile, cette  abolition n’a plus de sens, les exécutions sommaires, les attentats se multiplient. En même temps qu’il décrète la « terreur rouge », le pouvoir soviétique met en place un embryon de justice, sous le contrôle des soviets, tout en répondant aux massacres perpétrés par leurs ennemis au même niveau, le passage par les armes.

 

La guerre civile

Pour la Russie des soviets, la guerre mondiale terminée, ce n’est pour autant pas la paix… Les armées blanches encerclent de toute part le territoire très réduit que contrôle le pouvoir soviétique.

Le 28 janvier 1918, il avait été décidé de créer une Armée rouge. Pour faire face aux armées blanches, l’Etat soviétique dispose certes de millions de soldats, de travailleurs déterminés à ne pas laisser l’ancien pouvoir se restaurer. Mais cela ne suffit pas face à des armées composées pour l’essentiel de professionnels, officiers et sous-officiers de l’ancienne armée tsariste, aidées par ailleurs par l’ensemble des pays impérialistes. Il faut centraliser le commandement, acquérir des compétences.

Le 17 mars 1918, Trotsky devient « commissaire du peuple pour l’Armée et les forces navales » et en assurera le commandement central. Le 27 mai, le service militaire devient obligatoire ; et il est décidé de faire appel à des « spécialistes militaires », anciens officiers du tsar non engagés dans les armées blanches, placés sous le contrôle de « commissaires politiques » et la menace d’une exécution à la moindre trahison.

A partir de mai 1918, pour répondre aux besoins de la guerre, diverses mesures sont prises. C’est le « communisme de guerre » : centralisation de la gestion des unités économiques, nationalisation de l’industrie petite et grande, monopole d’Etat sur le commerce des produits de première nécessité, interdiction du commerce privé, conscription du travail universel, péréquation dans la répartition des produits et des richesses… Ces richesses étant pour l’essentiel produites par la paysannerie, « péréquation dans la répartition » se traduit dans les faits par « réquisition des produits agricoles ». Ces réquisitions seront à l’origine de nombreuses révoltes paysannes, allant jusqu’à la constitution « d’armées vertes » qui lutteront aussi bien contre l’armée rouge que contre les armées blanches. Une de ces « armées vertes », dite « noire » du fait que son dirigeant, Nestor Makhno, était anarchiste, combat à partir de mars 1918 au sud de l’Ukraine. Alliée à l’Armée rouge contre les armées blanches qui interviennent en Ukraine, elle contribue à les défaire, pour ensuite se retourner contre l’Etat ouvrier.

Confrontée à de multiples difficultés, l’Armée rouge va cependant repousser les armées blanches. La menace bien réelle jusqu’au début 1919 d’une intervention directe des impérialismes US, français et britannique, s’éloigne du fait de la crainte qu’une telle intervention ne déclenche des mutineries, comme celle qui s’est produite, début 1919, au sein de la Marine française, la mutinerie de marins de la Mer Noire.

La guerre civile s’achève sur le traité de Riga, signé en mars 1921 avec la Pologne, qui fixe les frontières définitives entre la Russie des soviets (qui comprend de nouveau l’Ukraine) et la Pologne, la Lettonie et l’Estonie, qui ont acquis définitivement leur indépendance. Ces frontières deviendront, le 30 décembre 1922, celles de l’URSS.

 

Bilan catastrophique 

Il y a eu dans l’Armée rouge quelques 980 000 morts, dont les deux tiers pour blessures mal soignées. Trois millions de civils sont mort pour les mêmes raisons. La guerre a fait 4,5 millions d’orphelins. Quatre millions de personnes sont mortes du typhus et de famine lors de l’été 1921.

La société soviétique est marquée de ruptures profondes entre la paysannerie, sur qui a reposé l’essentiel du poids économique de la guerre, et le pouvoir de l’Etat, concentré entre les mains du parti bolchevique.

Les révoltes paysannes s’étaient exacerbées au cours de l’année 1920. Trotsky s’en était inquiété et avait fait la proposition, repoussée, de mettre fin au communisme de guerre et de lancer une réforme de l’économie. La situation ne pouvait que s’aggraver. La situation devient critique pour le pouvoir au début de l’année 1921 : recrudescence des révoltes paysannes ; montée des revendications ouvrières, en particulier à Petrograd, alors qu’un vif débat, mené par l’« Opposition ouvrière » dirigée par Chliapnikov et Kollontaï, à lieu dans le parti sur la place des syndicats dans l’organisation de la production ; révolte des marins de Cronstadt et de l’armée noire de Makhno.

L’île de Cronstadt est une base navale protégeant Petrograd. Les marins de Cronstadt avaient été un des fers de lance de la révolution. Mais fin février 1921, le ras-le-bol l’emporte, y compris chez les marins communistes, du fait de leur propre situation mais aussi de celle qui est faite à leurs familles, paysans soumis aux réquisitions. Ils s’insurgent contre le pouvoir des bolcheviks, exigeant le retour à la démocratie des soviets…

Le pouvoir considère qu’il ne peut laisser une telle situation perdurer, alors qu’il doit en même temps faire face aux mutineries paysannes, dont celle de Makhno qui cherche à constituer une commune paysanne dans la zone d’Ukraine qu’il contrôle. Le 5 mars 1921, un ultimatum est lancé aux mutins. Le 7 mars, l’Armée rouge donne l’assaut à la forteresse, sur la Neva gelée. Les combats s’achèvent le 20 mars 1921. En aout 1921, les troupes de Makhno sont définitivement défaites et leur chef part en exil.

 

Du « communisme de guerre » à la « nouvelle économie politique »

En mars 1921, le congrès du Parti communiste russe décrète le passage à la NEP (nouvelle économie politique). Lénine s’est rallié à la proposition que Trotsky avait faite un an plus tôt : il faut en finir avec la situation de pénurie et les réquisitions que la paysannerie ne peut supporter plus longtemps, permettre d’urgence à l’économie de repartir en réintroduisant certaines relations marchandes. On met donc fin à la réquisition systématique de la production agricole. Un petit commerce privé, permettant des échanges, est de nouveau autorisé. La grande production industrielle et le système financier restent sous le contrôle de l’Etat.

Le résultat ne tarde pas à se faire sentir. La NEP réussit à relancer l’économie, sur la base de la remise en place de relations marchandes, un certain retour du capitalisme sous le contrôle de l’Etat ouvrier.

 

Le combat perdu de Lénine et Trotsky

En mai 1922, Lénine est victime d’une attaque cérébrale qui le tient écarté du pouvoir. A son retour, en octobre, il découvre l’ampleur d’une crise qui se prépare au sommet du parti, où une fraction se constitue autour d’une « troïka » composée de Zinoviev, Kamenev et Staline et commence une campagne dirigée contre Trotsky. 

Derrière les questions de personnes se joue en réalité la survie de l’Etat ouvrier. Car la guerre civile n’a pas seulement ruiné l’économie, elle a aussi transformé la démocratie soviétique d’octobre 1917 en son contraire. La centralisation des décisions nécessaires à la conduite de la guerre et de l’économie a transformé la structure soviétique en un organisme de transmission des décisions prises aux sommets de l’Etat ouvrier vers les soviets locaux, chargés en dernier ressort de les mettre en œuvre.

Le fonctionnement du « communisme de guerre » a par ailleurs entraîné la mise en place d’un appareil administratif de plus en plus nombreux, une bureaucratie d’Etat par laquelle passent toutes les décisions. Cette nouvelle bureaucratie « communiste », placée au cœur de la circulation des ressources de la société alors que celle-ci manquait de tout, y trouvait des intérêts matériels – limités dans un premier temps mais qui iront croissants. Et elle était aux premières loges pour bénéficier du redémarrage de l’économie due à la NEP.

Ainsi se constituait, avec les paysans riches, les koulaks et le petit capitalisme marchand renaissant du fait de la NEP, la base sociale sur lesquelles allait s’appuyer des dirigeants du parti, dont Staline, pour instaurer leur pouvoir. Cela d’autant que le parti communiste russe, parti unique au pouvoir, était, par la force des choses totalement imbriqué dans cette structure bureaucratique avec laquelle il avait fini par se confondre pour une bonne part. 

Trotsky engage la bataille politique contre ces tendances et c’est ce qui lui vaut l’offensive menée contre lui. Lénine le rejoint dans le combat mais sa santé rechute en décembre 1922. Conscient qu’il ne pourra plus jamais assurer le rôle central qu’il a joué à la tête du parti et du pouvoir, il sepose la question de sa succession. Le 25 décembre 1922, il écrit son « testament ». Le 6 mars 1923, il rompt toute relation personnelle avec Staline qui se comporte de façon de plus en plus autoritaire et grossière. 

En juillet, une crise éclate, la « crise des ciseaux » selon les mots de Trotsky. Devant l’écart de prix croissant entre les produits industriels et les produits agricoles, les paysans font la grève des récoltes, une nouvelle campagne se développe dans les campagnes contre le pouvoir. C’est le résultat de l’incapacité de la bureaucratie, dénoncée par Trotsky quelques mois plutôt, à développer, par une planification à long terme rigoureuse et coordonnée, de véritables améliorations dans les quantités et la qualité des produits industriels destinés à l’agriculture.  

Le 8 octobre, Trotsky demande au comité central de décider un tournant dans la vie intérieure du parti. Il faut l’ouvrir à la jeunesse ouvrière, lui redonner la base sociale qui était la sienne au moment de la révolution d’octobre. Il est rejoint le 15 octobre par la prise de position de 46 responsables du parti, dans une lettre adressée au comité central, la « lettre des 46 ». Lequel répond en adoptant à l’unanimité, le 5 décembre, une résolution sur la « démocratie ouvrière »... qui ne l’engagera à rien. 

Trotsky poursuit l’offensive, le 8 décembre, avec un texte appelé Cours nouveau, dans lequel il développe les mesures qui, selon lui, permettront à cette « démocratie ouvrière » de renaitre, au parti de se régénérer. Le 14 décembre, la troïka commence une campagne contre lui et les « 46 ». C’est le début d’une offensive contre tous ceux qui essaient de mettre en cause les positions de la bureaucratie, désormais taxés de « trotskysme ».

Lénine meurt le 21 janvier 1924. Sa dépouille est embaumée et exposée. Il est érigé en icône par la bureaucratie stalinienne, qui commence à réécrire l’histoire pour tenter d’effacer des mémoires le rôle de Trotsky, en faire un hérétique, opposant de toujours au grand Lénine, faire de ceux qui détiennent désormais le pouvoir ses seuls et légitimes héritiers… Fin décembre 1924, Staline lance le mot d’ordre : « socialisme dans un seul pays ». Il tourne ainsi radicalement le dos à la politique qui avait été jusque là celle du parti bolchevique.

 

La contre-révolution stalinienne et l’échec de la vague révolutionnaire en Europe

La révolution russe n’était pour les bolcheviks qu’un des éléments d’un mouvement bien plus vaste qui touchait toute l’Europe. En 1917, des soldats se mutinaient dans les tranchées, des régiments refusaient de monter au front. Puis une multitude de mouvements sociaux ont éclaté. Mouvements de grèves à Londres, Paris, Barcelone, Turin, Milan, Gènes… Insurrections en Yougoslavie, en Roumanie, en Bulgarie, en Pologne… Et surtout en Allemagne, comme l’espéraient les dirigeants bolcheviques, tel Lénine qui affirmait, en mars 1918 : « la vérité absolue, c’est qu’à moins d’une révolution allemande, nous sommes perdus »...

La révolution allemande éclate effectivement fin octobre 1918. Mais elle est réprimée dans le sang par la social-démocratie, main dans la main avec les Corps francs, bandes armées de militaires réactionnaires. Toutes les autres tentatives révolutionnaires échouent, selon des processus qui mettent en évidence le fait que les bourgeoisies et leurs alliés sociaux-démocrates ont tiré les leçons de la révolution russe, mais aussi que, comme le disait un dirigeant du PC allemand après la défaite, « les masses étaient prêtes pour la révolution, pas les révolutionnaires ».

Préparer les révolutionnaires, les partis communistes qui se constituent partout en rupture avec la social-démocratie, à diriger les révolutions, était une des tâches urgentes qui incombe aux dirigeants bolcheviks. Ils ont tenté de la remplir à travers la direction de la Troisième Internationale, dont le premier congrès s’est tenu à Moscou, en mars 1919 et qui se réunira ensuite en juillet 1920, juin 1921 et novembre 1922, avant la mainmise de la bureaucratie stalinienne sur le mouvement communiste international. 

Les dirigeants bolcheviques cherchent à structurer le mouvement communiste international, à ajuster sa politique aux évolutions du contexte géopolitique, à rendre les sections de l’Internationale capables d’assumer leur rôle de partis révolutionnaires. Mais ils ont peu de prise sur la politique de ces sections, tandis que la vague révolutionnaire s’achève partout par des échecs. Au 3e congrès, en juin 1921, l’IC change de stratégie, de la « tactique de l’offensive » au mot d’ordre de « conquête des masses ». L’heure n’est plus à se préparer à conduire les masses révoltées vers la prise du pouvoir, mais à gagner leur confiance, en vue des prochaines montées révolutionnaires. Ces montées révolutionnaires se produiront bien, mais elles se heurteront au stalinisme qui a contribué à stériliser pour des décennies le mouvement révolutionnaire marxiste international.