Publié le Dimanche 10 août 2014 à 10h59.

Le refus de la guerre

Les fusillés pour l’exemple

« Pour maintenir l’esprit d’obéissance et la discipline parmi les troupes, une première impression de terreur est indispensable » Général Pétain en 1915.

La grand’peur de l’indiscipline face à la boucherie (ainsi les fraternisations de Noël 1914) amène la hiérarchie militaire à instaurer une discipline de fer. En août 1914, le gouvernement autorise la traduction des soldats devant les cours martiales sans instruction préalable. Le 1er septembre, le ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, socialiste « indépendant », abolit toute possibilité de recours en révision ou en grâce jusqu’en janvier 1915. Les conseils de guerre prononcent 752 condamnations à mort entre août 1914 et décembre 1915, et 495 soldats seront effectivement exécutés. L’exécution se déroule en public, la troupe passe devant la dépouille.

Les raisons du refus
Les motifs ? Mutilations volontaires, refus d’obéissance, comme ce soldat exécuté en février 1915 pour avoir refusé de porter un pantalon prélevé sur un mort et souillé de sang, comme ceux qui refusent de sortir des tranchées sans préparation d’artillerie, ou même désertion, sachant que celle-ci sera même prononcée pour des soldats égarés...
On ignore le nombre de soldats fusillés furtivement au bord d’un fossé ou dans un pré... « J’ai tué de ma main douze fuyards, écrit le général Blanc, et ces exemples n’ont pas suffi à faire cesser l’abandon du champ de bataille » (1).

Patrick Le Moal

1  – Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, Vendôme, 1979, p. 256

Le refus de la guerre : les mutineries de 1917

« C’est la Révolution ! Nous n’irons plus à la Villette ! On ne nous mènera plus à l’abattoir ! » (1) Cris des manifestants du 85°RI le 25 juin 1917

Du 29 avril à la mi-juin 1917, selon les sources, entre 111 et 250 actes collectifs de refus apparaissent dans 69 à 78 divisions, les deux tiers de l’armée du front ouest. Ce sont des manifestations, des désertions, des refus collectifs, qui constituent un vaste mouvement de désobéissance, d’action collective pour « mettre fin au massacre », qui impliquent à un titre ou un autre environ 500 000 soldats.

Du « consentement patriotique »...
Depuis 1914, il y avait bien eu d’autres actes de désobéissance, mais isolés et sans extension. Ce qui caractérisait le poilu, c’était plutôt l’obéissance. Elle a d’ailleurs fait l’objet de la théorie du « consentement patriotique ». André Loez (2) répond en citant le texte du sergent Louis Mairet, tué le 16 avril 1917 à Craonne, qui résume les raisons de cette obéissance : « Le soldat de 1916 ne se bat ni pour l’Alsace, ni pour ruiner l’Allemagne, ni pour la patrie. Il se bat par honnêteté, par habitude et par force. Il se bat parce qu’il ne peut faire autrement. Il se bat ensuite parce que, après les premiers enthousiasmes, après le découragement du premier hiver, est venue, avec le second, la résignation ». On s’adapte, on cherche une bonne affectation, on souhaite une « fine blessure », on endure la mort industrielle, on survit en aspirant à la paix.
Pour faire face à la difficulté inouïe de la guerre au front, « les relations sociales se trouvent fortement resserrées dans les unités, où se met en place un régime émotionnel particulier, centré sur la valeur dominante du courage. Si les combattants des tranchées « tiennent », c’est parce que les liens sociaux au front sont fortement resserrés, et que leurs conduites publiques se conforment à des normes partagées » (3). 

… À la révolte contre la guerre
Les mutineries, leur généralisation sur plusieurs semaines se produisent par la volonté de sortir d’une guerre interminable. Entrent aussi en jeu la révolution en Russie, l’entrée en guerre des États-Unis, la prévision de la conférence socialiste de Stockholm et bien sûr l’échec de l’offensive Nivelle, dite « finale » au Chemin des Dames. S’ajoute à cela la première vague de grèves à Paris en mai 1917. La prolongation de la guerre devient insupportable.
Les actes d’indiscipline sont plus ou moins massifs, politisés, violents, contre les officiers, avec ou sans revendications négociables. L’autorité est bafouée, les officiers réduits à l’impuissance. On verra même un général céder devant les soldats, faisant libérer un « agitateur ». Plus rares sont les fraternisations et les tracts politiques comme celui qui circule fin juin (4). La perspective de se rendre à Paris pour faire pression en faveur de la paix est même évoquée dans une dizaine d’unités. Mais l’absence de coordination, d’organisation du mouvement permettent à la hiérarchie militaire de reprendre le contrôle de la situation.
Robert Nivelle est relevé de ses fonctions et remplacé par Pétain, et même si les incidents  continuent,  les conditions matérielles des soldats sont améliorées, comme l’organisation des permissions. 
Après la décrue du mouvement, la répression frappe. La justice militaire jugera coupables 3 427 mutins, prononcera 554 condamnations à mort (majoritairement non exécutées). Au final, une trentaine de mutins seront fusillés.

Patrick Le Moal

1 – André Loez, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, p 225
2 – Idem p 35
3 – Idem p 77
4 – Idem p 405 « Camarades, souvenez-vous de Craonne. Nous venons vous prier de vous joindre à nous pour obtenir ce résultat et arrêter ce carnage. Cette guerre n’a que pour but d’enrichir le capitalisme et détruire la classe ouvrière. Nous tiendrons les tranchées jusqu’à cette époque pour empêcher l’ennemi d’avancer. Passée cette date, nous déposerons les armes. »

La Chanson de Craonne

Cette chanson anonyme, écrite par de multiples auteurs (il y en a plusieurs versions) sur l’air d’une chanson populaire, était apprise par cœur et diffusée oralement de manière clandestine dès 1915. Elle sera interdite par le commandement militaire.

Quand au bout d’huit jours 
le r’pos terminé
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile
Mais c’est bien fini, on en a assez
Personne ne veut plus marcher
Et le cœur bien gros, 
comm’ dans un sanglot
On dit adieu aux civ’lots
Même sans tambours, même sans trompettes
On s’en va là-haut 
en baissant la tête

Refrain :
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés

Huit jours de tranchée, 
huit jours de souffrance
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r’lève
Que nous attendons sans trêve
Soudain dans la nuit 
et dans le silence
On voit quelqu’un qui s’avance
C’est un officier de 
chasseurs à pied
Qui vient pour nous remplacer
Doucement dans l’ombre 
sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes

Refrain

C’est malheureux d’voir 
sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c’est pas 
la même chose
Au lieu d’se cacher 
tous ces embusqués
F’raient mieux d’monter 
aux tranchées
Pour défendre leur bien, 
car nous n’avons rien
Nous autres les pauv’ purotins
Tous les camarades
sont enterrés là
Pour défendr’ les biens 
de ces messieurs là

Refrain :
Ceux qu’ont l’pognon, 
ceux-là r’viendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini, car les troufions
Vont tous se mettre en grève
Ce s’ra votre tour, 
messieurs les gros
De monter sur le plateau
Car si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau