Publié le Mardi 8 décembre 2015 à 13h39.

Après le 13 novembre

Les attentats du 13 novembre à Paris, précédés par ceux de Bagdad, Ankara, Beyrouth et Charm el-Cheikh, prolongés par la prise d’otages au Mali, ouvrent une nouvelle séquence avec la combinaison d’opérations terroristes de masse par Daesh contre les populations, d’une politique extérieure gouvernementale de va-t-en-guerre dans le sens de celle menée par George Bush après les attentats du 11 septembre 2001, et de la mise en place sur le plan intérieur d’un État d’exception, du tout-sécuritaire.

Daesh, ennemi du mouvement ouvrier, des femmes et des droits démocratiques

Les attentats du 13 novembre ont été commandités par Daesh. Cette organisation, tout comme Al-Qaeda, ne vient pas de nulle part. Les Etats-Unis, avec le royaume saoudien, ont favorisé depuis des décennies les courants intégristes islamiques radicaux dans la lutte contre la gauche au sein des pays à majorité musulmane. Ces courants ont longtemps été associés aux Etats-Unis – une collaboration historique qui a culminé avec la guerre d’Afghanistan dans les années 1980, lorsqu’ils furent soutenus contre l’occupation soviétique par Washington, les Saoudiens et la dictature pakistanaise.

Certaines composantes de ces forces se sont retournées contre la monarchie saoudienne et les Etats-Unis. C’est l’histoire d’Al-Qaeda dont les fondateurs étaient alliés aux États-Unis et au royaume saoudien dans la lutte contre l’occupation soviétique en Afghanistan. C’est l’administration de Bush père qui, en lançant la première guerre contre l’Irak, a provoqué la volte-face d’Al-Qaeda contre les Etats-Unis, Bush fils poursuivant avec son invasion de l’Irak. L’occupation états-unienne de ce pays a donné une énorme impulsion à Al-Qaeda, lui permettant d’acquérir une base territoriale cruciale au Moyen-Orient, après avoir été restreinte auparavant à l’Afghanistan. Aujourd’hui encore, l’Arabie Saoudite soutient des organisations affiliées à Al-Qaeda, en Syrie (Al Nosra) ou au Yémen.

Ce qui s’appelle aujourd’hui « Etat islamique en Irak et en Syrie », issu de la  branche d’Al-Qaeda en Irak, est le résultat direct, à la fois, de l’occupation américaine en Irak et du chaos régional croissant. Daesh s’est notamment nourri de secteurs sunnites évincés de toutes les sphères du pouvoir et d’anciens membres de l’armée et des services de sécurité de Saddam Hussein. Il avait été défait et marginalisé à partir de 2007, mais est parvenu à se reconstituer en Syrie, en tirant avantage des conditions créées par la guerre civile dans ce pays et de la brutalité extrême du régime syrien.

Daesh est une organisation militaire, intégriste religieuse, basée sur la terreur, ennemie du mouvement ouvrier, des femmes et de tous droits démocratiques, qui s’étend sur un territoire où il prend de plus en plus les contours d’un Etat et depuis lequel il développe un projet expansionniste. Cette organisation s’est appuyée sur les crimes des régimes de Saddam Hussein et Bachar al-Assad, sur les soutiens financiers des émirs ultra-réactionnaires du Golfe persique et sur la complicité du gouvernement turc d’Erdogan, tous engagés dans une logique d’écrasement de tout mouvement de masse progressiste. 

Fuite en avant sécuritaire

La réponse du gouvernement aux attentats du 13 novembre ne s’est pas fait attendre. Il a décrété l’état d’urgence pour au moins trois mois et Hollande, lors de son discours devant le parlement à Versailles, a annoncé des modifications constitutionnelles visant à pérenniser l’état d’urgence afin de pouvoir rendre permanent un état d’exception, dressant ainsi les contours d’un véritable Patriot Act à la française.

Hollande a considérablement déplacé le curseur politique vers la droite et l’extrême droite en reprenant à son compte des propositions du FN et de LR : la déchéance de nationalité pour les binationaux accusés de terrorisme, la dissolution de groupes et associations portant « atteinte à l’ordre public », le blocage de sites Internet et l’assignation à résidence pour toute personne soupçonnée de visées terroristes – donc sans avoir été condamnée pour des faits commis. Après les lois sécuritaires votées suite aux attaques du 9 janvier, Hollande a franchi un cap supplémentaire en matière de mesures liberticides. La prorogation de l’état d’urgence pour trois mois par la presque unanimité des députés de gauche, y compris l’ensemble des députés du Front de gauche, de la droite et de l’extrême-droite, montre l’étendue de l’union nationale et ne sert qu’à une chose : museler la société en installant un état de peur qui tétanise et interdire ou du moins limiter la réflexion sur les choix politiques faits depuis des décennies.

C’est dans ce sens que le gouvernement a  interdit toutes les mobilisations sociales, écologiques, féministes et de solidarité avec les migrants à Paris mais aussi dans de nombreuses autres villes. Qu’il a fait procéder à plus de 2000 perquisitions administratives touchant notamment des maraîchers bios ou des squatteurs, et a assigné à résidence environ 300 personnes, y compris des militants associatifs et écologistes. Derrière l’émotion et le prétexte de la protection de la population, le gouvernement Valls-Hollande s’attaque directement aux moyens de résistance des salariés au moment où la chemise déchirée des DRH d’Air France avait montré, par l’ampleur des témoignages de solidarité, une colère certaine de la classe ouvrière qui redonnait un peu de souffle aux perspectives d’affrontement avec le patronat et le gouvernement.

De là, le fait que la lutte contre l’état d’urgence ne puisse pas se cantonner à un simple positionnement idéologique. S’opposer à l’état d’urgence c’est s’opposer à ses conséquences, en particulier aux pressions du pouvoir dans le sens d’une interdiction des manifestations.

La casse sociale continue

L’état d’urgence ne doit pas nous faire oublier que ce gouvernement continue sa politique d’austérité et de destruction sociale et écologique. Macron a sans doute été ces derniers jours le plus clair, en rassurant le Medef : l’état d’urgence ne perturbera ni la vie économique ni les réformes engagées et envisagées avant les attentats du 13 novembre. Nous voilà rassurés : le patronat va pouvoir continuer à licencier ou supprimer des emplois malgré des profits toujours plus importants comme à Air France, et à empocher tranquillement des milliards grâce au CICE ; de plus, il n’aura bientôt plus « d’entraves » grâce au démantèlement du code du travail programmé par ce gouvernement.

Et pour accompagner l’état d’urgence, le gouvernement Hollande-Valls continuera, afin de combattre les discriminations et défendre les « valeurs de la France face à la barbarie », à imposer les contrôles aux faciès, bloquer les migrants aux frontières et se contenter d’une simple communication sur le changement climatique. Contre-réformes dans la santé et l’Education nationale, suppressions massives de postes dans la fonction publique… Tout reste d’actualité.

La lutte de classe doit donc reprendre le devant. Ceux qui nous imposent ou applaudissent à la mise en place de l’état d’urgence sont les mêmes qui s’acharnent contre le code du travail, les syndicalistes, le mouvement social dans son ensemble. Aucune des mesures liberticides et sécuritaires ne sera efficace pour lutter contre l’embrigadement de jeunes par Daesh, car elles tournent le dos à toute politique sociale.

Dans ce contexte, le NPA et l’ensemble du mouvement ouvrier doivent défendre les revendications sociales, démocratiques et écologiques. Pas question de laisser rogner notre droit à lutter contre la violence patronale, les suppressions d’emplois, les licenciements, la destruction du code du travail, l’austérité. Les prises de position de plusieurs syndicats, puis celle de la confédération CGT contre la trêve sociale et la guerre, doivent constituer un point d’appui. La journée du 2 décembre en soutien aux salariés d’Air France a été  une première échéance pour faire en sorte que les revendications de l’ensemble du mouvement ouvrier se fassent de nouveau entendre, tout en s’opposant au tournant guerrier et sécuritaire du gouvernement.

La montée de l’islamophobie et du racisme

Les jours qui ont suivi les attaques terroristes de Paris ont été marqués  par des dégradations de lieux de culte musulmans, ainsi que des agressions islamophobes mais aussi antisémites. Dans plusieurs villes de France, des groupes d’extrême droite se sont invités dans les rassemblements. Le fait qu’un terroriste, dont on ignore l’identité et la nationalité, soit arrivé en France depuis la Syrie en se faisant enregistrer en Grèce comme un migrant réclamant le droit d’asile, a donné lieu à un véritable déchaînement contre l’accueil des migrants en France et en Europe.

Certains dirigeants français et européens sont allés jusqu’à assimiler les migrants aux terroristes, en réclamant la fermeture des frontières intérieures. Hollande en tête, ils ont insisté sur la nécessité de renforcer les contrôles et les centres de tri (« hot spots »). Une campagne unitaire résolue contre le racisme et pour la solidarité avec les migrants s’impose.

Une des conséquences des attentats est donc une montée du racisme et ce, à quelques semaines des élections régionales où Marine Le Pen était déjà annoncée comme la grande gagnante, dans une séquence électorale qui s’annonce particulièrement nauséabonde.

Il faut rappeler que la majorité des kamikazes des attentats du 13 novembre étaient français ou belges, et non syriens ou irakiens. En ce sens, les attentats ne relèvent pas d’une simple exportation de combattants de Daesh, mais s’inscrivent largement dans les dérives qui se produisent parmi des groupes très marginaux de jeunes pour lesquels le djihadisme n’est qu’un vecteur. Leur dérive criminelle et suicidaire prend ses racines dans un terreau fertile, provoqué par l’accumulation des politiques d’injustice sociale, d’exclusion, de racisme, de discriminations et d’islamophobie. Ce ne sont pas les bombardements des zones occupées par Daesh qui régleront ce problème. 

Contre la guerre impérialiste, retrait des troupes françaises d’Afrique et du Proche-Orient

Dans l’ensemble du Proche-Orient, la crise multiforme du capitalisme mondial, celle des régimes en place et l’échec des interventions impérialistes sont à l’origine du chaos actuel. De façon directe ou indirecte, les puissances impérialistes et leurs alliés régionaux ont à un moment donné armé et entraîné chacun des groupes terroristes, au service de leurs propres intérêts. S’y ajoute le soutien sans retenue aucune de la France à la politique de l’ultra-droite israélienne lors de la guerre de Gaza en 2014, ou encore le fait que Paris vende des armes de guerre et ouvre grand les bras aux investisseurs des pétromonarchies du Golfe, Arabie Saoudite en tête, alors même que le régime saoudien et le Qatar ont été les financiers de Daesh pour déstabiliser l’alliance Irak-Iran.

Il faut également souligner le rôle du régime d’Erdogan en Turquie, qui finance Daesh à travers les achats de pétrole et n’hésite pas à bombarder, en totale impunité, les Kurdes qui en Syrie combattent Daesh les armes à la main. Ainsi que la politique russe, de soutien sans faille au régime de Bachar al-Assad, avec l’expertise poutinienne d’écrasement des populations testée en Tchétchénie. Le but étant, pour les impérialistes, d’obtenir un nouvel équilibre réactionnaire après la déstabilisation des régimes provoquée par les révolutions arabes.

La riposte guerrière et impérialiste ne fait qu’aggraver les choses, comme le démontrent tragiquement les événements de ce 13 novembre. Il n’y aura pas d’issue à la crise que traverse le Proche-Orient sans le retrait des troupes impérialistes, la fin de régimes réactionnaires et la reconnaissance des droits des Palestiniens par la fin de l’occupation par l’Etat sioniste de la Cisjordanie et de Gaza.

L’Etat islamique/Daesh est fondamentalement un instrument d’écrasement des aspirations des peuples qui ont provoqué les soulèvements de la région arabe. C’est pourquoi nous opposons à la logique de guerre impérialiste la nécessité de la solidarité internationale concrète avec les peuples de la région qui luttent en pratique contre Daesh comme contre Assad, en donnant les moyens y compris militaires de la lutte à leurs organisations démocratiques et non confessionnelles. Dans ce sens, le PKK doit être retiré de la liste des organisations terroristes et les populations pourchassées de Syrie et d’Irak doivent avoir le droit d’asile en Europe.

Il y a urgence à mettre en place un front de toutes celles et ceux, des organisations politiques et sociales qui refusent l’union sacrée, l’état d’urgence, la guerre et le racisme. Face à l’Etat d’urgence, nous devons unir nos forces et centrer nos efforts sur la défense des droits démocratiques, le maintien et la construction des mobilisations sociales que nous ne laisserons pas être bâillonnées et étouffées par le climat de peur et de guerre. La réponse au terrorisme de Daesh  ne peut venir que des solidarités et des luttes des classes exploitées pour défendre leurs droits sociaux et démocratiques, de la solidarité internationale avec les peuples du Proche-Orient et d’Afrique.

L’heure est au rassemblement de toutes celles et tous ceux qui refusent les surenchères militaristes, la guerre, les interventions impérialistes comme la fuite en avant sécuritaire, pour combattre la barbarie capitaliste qui engendre celle du terrorisme et des intégrismes religieux.

Sandra Demarcq