Publié le Mardi 5 février 2019 à 01h38.

Après les élections de mi-mandat aux États-Unis : Trump entre espoirs et déboires

La victoire de Trump en 2016 était-elle un accident électoral, ou un tournant durable dans la vie politique américaine ? À cette question, les élections de mi-mandat de novembre 2018 ont répondu… un peu. Et c’est leur résultat qui contraint aujourd’hui Trump à tenter l’épreuve de force du « shutdown » pour se relancer. 

Si les Démocrates ont gagné l’élection en novembre, en récupérant la Chambre des représentants, ils sont loin d’avoir écrasé leurs adversaires, qui conservent le Sénat (et y accroissent même leur avantage, 53 sièges contre 51 auparavant, et 47 au lieu de 49 pour les Démocrates) et la majorité des postes de gouverneurs. Puisqu’après tout il est de tradition que les « midterms » soient défavorables au parti du président en exercice, Trump semble garder toutes ses chances pour 2020.

C’était d’ailleurs le constat de la presse en général, étatsunienne et étrangère : « Victoire démocrate, mais pas de vague bleue » (couleur des démocrates) ; « Résistance », et même « ancrage électoral » du « trumpisme ». Et pourtant… la vague bleue a bien eu lieu !

 

Malgré tout, une « vague bleue »

C’est l’élection à la Chambre des représentants qui reflète le mieux les rapports de forces dans le vote « populaire » (le nombre de voix) à l’échelle du pays. Alors que la participation a été beaucoup plus forte qu’il n’est de coutume dans ces élections intermédiaires (50% au lieu de 40%), et que chaque camp semble avoir davantage mobilisé son électorat que d’habitude, les Démocrates devanceraient les Républicains de quelque 10 millions de voix, soit + 8,5 points en pourcentage environ que leurs adversaires (53,5% des voix contre 45%). C’est un écart plus important que lors d’autres élections intermédiaires qui avaient sanctionné à mi-parcours un président et à propos desquelles on avait parlé alors… de « vague rouge » (républicaine) ou de « vague bleue » (démocrate) : en 1994 sous Clinton, en 2006 sous Bush, et sous Obama en 2010 et en 2014. En fait les Démocrates tiennent là leur meilleur résultat depuis… 1974.

On aurait certes pu s’attendre à encore plus fort, vu le personnage de Trump, mais on pourrait s’étonner, aussi, de l’ampleur de la défaite si l’on songe que les chiffres de l’économie US favorisaient, après tout, Trump.

 

Les paris de Trump

Celui-ci ne faisait-il alors que céder à son penchant pour le bluff, quand il tweetait au lendemain de l’élection : « Énorme succès » ? Oui et non, car il a de vraies raisons de se frotter malgré tout les mains, en tout cas d’envisager avec un peu d’optimisme son avenir. L’avance électorale des Démocrates ne s’est pas traduite par un basculement équivalent du rapport de forces dans les institutions. Car le système électoral (« représentatif ») étatsunien est aussi anti-démocratique que celui de la France (mais… différemment). Dans son principe, avec deux sièges de sénateurs par État quelle que soit sa population, et avec le système des grands électeurs aux présidentielles, qui profite en général au Parti républicain. Bizarrerie encore accentuée par les tripatouillages des circonscriptions par les gouverneurs républicains, par le retrait de leur droit de vote à des millions d’électeurEs latinos, noirs, pauvres, via des conditions d’inscription discriminatoires et des radiations abusives. C’est la chance de Trump : il sait qu’il n’a pas besoin d’être majoritaire pour être élu président. Il ne l’était pas en 2016, puisque Clinton a obtenu trois millions de voix de plus que lui. George Bush Jr ne l’était pas non plus en 2000.

C’est donc avec une attention maniaque que Trump a dû regarder les résultats dans les « swing states » qu’il avait réussi à emporter en 2016, parfois de quelques milliers de voix seulement, comme la Pennsylvanie, le Wisconsin, la Floride, l’Ohio. Et là encore il a quelques raisons d’espérer puisque des gouverneurs et des candidats aux sénatoriales très trumpistes l’ont emporté dans la moitié d’entre eux. Ce qui augure d’une présidentielle incertaine.

 

Un parti républicain trumpisé

Il compte aussi sur un nouvel atout : il a conquis le Parti républicain. Il faut se rappeler qu’en 2016 celui-ci menaçait, paraît-il, d’être le plus grand obstacle à la politique de Trump, et de se révolter contre son propre président ! Certains misaient même sur les parlementaires républicains pour neutraliser l’inattendu président. Deux ans plus tard, on peine même à se souvenir de ces spéculations… Trump a comme domestiqué le Parti républicain, qui a gobé sa rhétorique nationaliste, ses foucades internationales, ses provocations, sa démagogie raciste, et un certain nombre de ses notables dégoûtés des manières du Donald sont partis… C’est que Trump a le charme du vainqueur, et qu’il vient en plus de prouver qu’il reste capable de mobiliser puissamment sa base électorale. S’il est aujourd’hui autour des 40% de « satisfaits » dans la population selon les sondages (toujours mieux que tous les derniers présidents français à mi-mandat, et bien mieux que le pauvre Macron), ces « satisfaits » sont pour une partie d’entre eux presque… fanatisés. Or mobiliser son propre camp est la condition première d’une victoire. Trump a aussi rallié à lui le Parti républicain, de la base au sommet, parce qu’il lui a offert sa liste de Noël : la baisse massive des impôts sur les riches et sur les entreprises, la levée de nombre de réglementations sociales ou écologiques « nuisibles au business », des juges de la Cour suprême hautement réactionnaires. Au-delà de ce qui est original chez Trump, le « Mur », les menaces de guerre commerciale, les tweets d’insultes, c’est ce programme républicain traditionnel brutal qui suscite l’adhésion de tant d’électeurs républicains, et le soutien de l’appareil du parti.

L’épisode actuel (au moment où nous écrivons) du « shutdown », ce bras de fer entre Trump et les Démocrates, sur la question du « Mur », qui bloque le financement de l’État fédéral, s’explique en partie par la volonté de Trump de continuer à mobiliser le noyau dur de son électorat, et montre à nouveau l’alignement, bon gré mal gré, des parlementaires républicains sur leur chef : alors qu’ils avaient conclu avec les Démocrates un accord sur le budget, ils ont du avaler la décision soudaine de Trump de rejeter cet accord pour provoquer une crise aux effets politiques plutôt incertains…  

 

Un Parti démocrate à l’heure des choix

De son côté, s’il a remporté le « vote populaire », le Parti démocrate a néanmoins quelques soucis à se faire : d’abord, il n’a pas de futur candidat évident (cela dit c’est une situation ordinaire dans la vie politique US), mais surtout quelle sera sa ligne politique pour la présidentielle ? Il ne suffit pas de faire de l’anti-Trump. Il faut tenter de récupérer des millions de voix populaires perdues en 2016, notamment dans des « swing states » dévastés (pour certains) par la désindustrialisation, soit parce que ces voix furent gagnées par Trump, soit (surtout d’ailleurs) parce qu’elles sont allées à l’abstention. Il faudrait pour cela que le Parti démocrate « parle » un peu aux ouvrierEs, de leurs emplois, de leurs salaires, de leurs droits, et pas seulement de l’Amérique plurielle, de la tolérance, de l’amour… et de la nécessité de s’éduquer pour prendre le train du progrès. Sans pour autant se fâcher avec Wall Street et la Silicon Valley.

Dilemme ordinaire d’un parti qui se veut tout à la fois « le parti du progrès », et l’autre parti de la bourgeoisie étatsunienne.

 

Pas de « Tea Party » démocrate…

Or ces élections n’ont pas montré, ou ne semblent pas forcément favoriser, au sein du Parti démocrate, une forte poussée à gauche. Alors même qu’elle existe, incontestablement, dans une partie de la société.

Certes la campagne de certains candidats ou candidates dits « progressistes » (de la gauche du parti) a parfois marqué les esprits. Deux candidates démocrates se réclamant du « socialisme », Alexandria Ocasio-Cortez et Rashida Tlaib, ont même réussi à se faire élire à la Chambre des représentants. C’est, entre autres, ce qui amène des commentateurs (et des militantEs), notamment dans une partie de la gauche « radicale » américaine, à parler d’une « poussée à gauche » dans le pays et dans le Parti démocrate. D’autant plus que, ces dernières années, la plupart des organisations US classées de « gauche radicale » ont vu progresser leur nombre d’adhérentEs, leur notoriété, notamment DSA, une organisation se réclamant du « socialisme » et intégrée au Parti démocrate.

Mais le noyau dirigeant du Parti démocrate, son « establishment », n’a pas été bousculé par une vague de gauche comme le Parti républicain l’avait été par le Tea Party après l’élection d’Obama en 2008, puis l’irruption de Trump en 2016. Autant le Parti républicain s’est radicalisé, toujours plus à droite, toujours plus réactionnaire et ultralibéral, autant le Parti démocrate garde son centre de gravité au « centre-droit ». Sa direction sort plutôt confortée des élections : elle reste archi-dominante, elle a gagné ces élections, sans avoir bouleversé sa rhétorique ou fait des promesses sociales exagérées (pour elle). 

La direction démocrate ne s’est pas non plus contentée d’une campagne « anti-Trump » sans plus de programme concret. Tout en gardant ses thèmes « clintoniens », charité, fraternité, blabla sur l’égalité des chances, libéralisme économique bon teint (et dans les faits impitoyable pour les travailleurEs et les pauvres), elle a insisté sur la santé, l’Obamacare, les frais universitaires, etc. Et comme le pays est en fait un continent, ses candidats se sont passablement adaptés « au terrain ». Alexandra Ocasio-Cortez et même Andrew Gillum, en Floride, ont parlé d’une nouvelle assurance maladie universelle garantie par l’État, du salaire minimum à 15 dollars de l’heure, de la gratuité de l’enseignement supérieur, alors que la nouvelle sénatrice de l’Arizona, elle, s’est carrément vantée… d’avoir voté la réforme fiscale de Trump ! 

 

Si la bourgeoisie tremble…

En attendant qu’une orientation se dégage au travers des futures primaires, les dirigeants du Parti démocrate tirent sans doute une toute autre leçon du vote que leur aile gauche, qui explique que seule une candidature beaucoup plus radicale socialement, du type Bernie Sanders, permettrait de donner envie à des millions de travailleuses et travailleurs de voter à nouveau démocrate et de battre Trump. La direction, elle, peut constater que, si les démocrates sont sans doute majoritaires dans le pays, il va falloir se battre durement pour gagner les swing states contre Trump, et pour cela, que ses candidats « centristes » ont prouvé davantage leur capacité à faire basculer une circonscription en balance que des candidats plus à gauche, plus « radicaux », comme Andrew Gillum, qui a certes échoué de très peu à devenir gouverneur de Floride, mais contre un candidat républicain hyper « trumpiste « , dans un État où les Hispaniques sont très nombreux. Si la direction démocrate devait choisir elle-même directement son candidat à la présidentielle et le programme qui va avec, nul doute qu’elle choisirait un profil assez « modéré » pour plaire à des Républicains non moins « modérés », quitte à appâter le populaire par quelques promesses sociales non moins « modérées ». 

Et quand bien même ? Si la propagande démocrate connaissait une inflexion « à gauche », ce qui est bien possible, il y aurait loin de sa politique réelle en cas de victoire, évidemment. Car le Parti démocrate reste le Parti démocrate. 

Et Wall Street ne s’y trompe pas. Tous les grands indices boursiers ont augmenté de plus de 2% le lendemain des élections. Comme le disent les analystes de la banque JP Morgan : « Un Congrès divisé est le meilleur résultat pour les marchés d’actions aux États-Unis et dans le monde ». Parce que les Démocrates sont les amis des « marchés », parce que les Républicains les empêcheront au Sénat de pousser des mesures sociales pré-électorales, parce que les Démocrates empêcheront Trump, à la Chambre des représentants, de foncer dans de nouvelles aventures protectionnistes ! 

Décidément, si la bourgeoisie tremble… ce sera parce que le danger vient d’ailleurs que du Parti démocrate : de la mobilisation et de la radicalisation croissante d’une fraction des travailleurEs et de la jeunesse du pays, révoltée par Trump, sans illusions sur les Démocrates.

Yann Cézard