Publié le Samedi 7 octobre 2023 à 10h00.

Naissance d’un centre de santé associatif dans le Sarladais

Irène, militante et infirmière, revient sur une aventure militante exceptionnelle : la création d’un centre de santé associatif à Sarlat. Un exemple pour nous toutEs !

Le centre a ouvert ses portes en décembre 2020 avec un seul médecin et une coordinatrice pour lancer la dynamique indispensable à la concrétisation du projet enfin finalisé et agréé (CPAM et ARS). Une ouverture rendue possible grâce à la mobilisation sans faille des bénévoles militantEs de l’association qui ont contribué au fonctionnement. 

Deux associations sont à l’origine du projet : l’Atelier citoyen 24 et l’Association de défense de l’hôpital et de sa maternité. Un comité de pilotage d’une douzaine de personnes a pris le relais : un investissement personnel et collectif d’une très grande qualité humaine et technique ! Des années de travail, de rencontres multiples, d’échanges et une dernière année particulièrement intense au cours de laquelle nous avons dû composer avec la pandémie covid. 

Répondre au désert médical et échapper au tout-libéral

Nous avons initié ce projet pour plusieurs raisons. D’abord la désertification médicale. En 2016, 20 % des habitantEs du sarladais n’avaient plus de médecin traitant. Un grand nombre de médecins du territoire allaient prendre leur retraite dans les cinq ans, aggravant encore la situation. 

Nous avions également envie de proposer un autre type d’organisation de la médecine de premier recours : médecins salariés, travail en équipe, travail de prévention et travail de coordination avec les différents partenaires médico-sociaux du secteur. Les regroupements d’activités médicales libérales au sein de maisons de santé communales ne répondaient pas aux difficultés d’accès aux soins. Ils occasionnent des dépenses publiques énormes sans aucune garantie en retour. Un constat que ne partagent pas certaines communes qui ont longtemps boudé notre projet jugé « trop gauchiste » et privilégié le financement de maisons médicales à but lucratif, demeurées souvent vides.

Nous voulions dénoncer le tout-libéral, exiger d’autres choix. Et nous y sommes parvenuEs ! Grâce à l’acharnement militant durant quatre longues années. Nous voulions aussi donner une place plus importante aux usagerEs et aux habitantEs dans la gestion de la structure par le biais d’une coopérative (SCIC) ou d’une association pour qu’ils puissent se réapproprier les questions de santé. Le projet de SCIC est à ce jour mis de côté, sa mise en œuvre étant difficile. La gestion de notre centre est donc restée associative.

Enfin, dans un deuxième temps, nous voulions développer dans des communes volontaires des antennes, c’est-à-dire des consultations pour rapprocher les patientEs de l’accès aux soins. Il faut savoir que l’absence de mobilité est une difficulté supplémentaire dans l’accès aux soins pour beaucoup des habitantEs de notre communauté de communes (transports collectifs quasi inexistants, gares fermées…).

Un travail commun centré sur les patientEs

Un centre de santé est un lieu de santé de proximité, de soins primaires — médecine générale, soins infirmiers et/ou chirurgie dentaire — et parfois de soins secondaires de santé publique — prévention et promotion de la santé — où sont pris en charge tous ceux qui le souhaitent. Une équipe médicale et administrative fait fonctionner le centre sur la base d’un travail en commun ; l’ensemble des personnels sont des salariéEs, médecins compris.

Grâce à ce statut, les médecins sont intégralement déchargéEs des tâches administratives et peuvent ainsi se consacrer ­entièrement à leur activité médicale.

Pluriprofessionnalité et prévention

La pluriprofessionnalité est une des caractéristiques d’un centre de santé qui le différencie d’un cabinet médical privé classique. Généralistes et spécialistes travaillent ensemble avec les dentistes, les kinés et les infirmierEs. Un dossier médical partagé est mis en place. Les praticienEs sont payéEs à la fonction — garantie d’indépendance — et non pas à l’acte. 

Les professionnelEs ont la possibilité de consacrer du temps à la prévention, à l’éducation à la santé. Le gestionnaire est public ou à vocation sociale, la pratique du tiers payant est systématique, les dépassements tarifaires n’existent pas. 

La question du financement

Le modèle économique d’un centre de santé repose notamment sur les cotations des actes médicaux facturés à l’Assurance maladie. Cependant, d’autres recettes sont nécessaires pour couvrir les dépenses en coordination d’équipe ou de gestion administrative de la pratique du tiers payant obligatoire. Ces recettes sont abondées par l’accord national qui définit une série d’objectifs à atteindre. Il s’articule autour de trois axes : développer la prise en charge coordonnée des patientEs ; accompagner le déploiement des outils favorisant l’exercice cordonné ; poursuivre la simplification des conditions d’exercice des professionnelEs de santé. Notre centre atteint l’équilibre à raison de 3,5 patientEs par heure. 

Élaboration collective des projets de santé

Le projet de santé du centre de santé Sarlat-Périgord noir a été validé par l’ARS (agence régionale de santé) qui a apporté une subvention de 75 000 euros pour démarrer l’activité. Ce projet prévoyait l’installation de trois médecins généralistes au cours des trois ans, objectif que nous avons atteint cette année. 

À ce jour, une infirmière Asalée1 assure la surveillance clinique de certaines pathologies chroniques et les suivis en addictologie, sous le contrôle et la prescription de nos médecins. Les missions administratives et gestionnaires sont assurées par une directrice coordinatrice et un secrétariat médical (1 poste et demi). Le conseil d’administration de l’association se réunit tous les deux mois ; un bureau de 6 personnes assure un lien hebdomadaire avec les salariéEs du centre de santé pour la gestion des tâches courantes et l’élaboration ­collective des projets de santé.

De nombreux projets sont en cours de réflexion et/ou de mise en œuvre : groupe de patientEs, groupe de parole et d’écriture, accueil et prise en charge sanitaire de femmes victimes de violence, jeunes précaires, réfugiéEs, adresséEs par les associations locales avec lesquelles nous sommes en lien. L’activité a doublé cette année, et près de 8 000 consultations assurées.

Qui peut venir au centre ?

Toute personne qui le souhaite peut venir. Le centre est le médecin traitant au regard de la Sécurité sociale. Les rendez-vous se prennent par téléphone ou sur Maiïa.com. Nous appliquons le tiers payant sur la partie Sécurité sociale dans un premier temps. 

Une alternative à la privatisation

Le centre de santé est bien un instrument de lutte contre les déserts médicaux et l’exclusion des soins (par la mise en œuvre du tiers payant). C’est une des réponses à la crise de la répartition démographique médicale et aux aspirations des professionnelEs de santé à changer de modèle d’exercice et de pratique. Il permet une collaboration et une meilleure articulation entre médecins, prévoit des temps de coordination pour échanger sur les prises en charge, décharge les praticiens des actes administratifs. C’est aussi la réappropriation d’un lieu de soins et de prévention par la population.

Nous ne pouvons qu’espérer que les expériences locales de ce type vont se multiplier. Les centres de santé coopératifs sont une des réponses concrètes pour défendre une politique de santé publique et de proximité, alternative à la privatisation grimpante de notre Sécurité sociale et de notre système de santé. 

C’est aussi pour nous militantEs anticapitalistes et révolutionnaires, présentEs dès l’origine du projet, la concrétisation de nos revendications, de nos projets de transformation sociale. C’est une goutte qui vient alimenter le vase de notre combat. À nous de faire ruisseler ce mode d’organisation et de diffuser plus largement les expériences locales qui démontrent que d’autres choix sont possibles.

Irène, militante du NPA, infirmière, porte-parole de la coordination infirmière en 1988, ancienne secrétaire générale de SUD Santé-sociaux dont elle est à l’origine de la création

 

  • 1. Du nom du protocole, créé en 2004 et porté par une association loi 1901 dont le but est d’améliorer la prise en charge des maladies chroniques, en médecine de ville.