Publié le Dimanche 29 octobre 2023 à 09h21.

Du hussard au rempart : les profs, variables d’ajustement de la politique républicaine

Trois jours après l’attaque au couteau au lycée d’Arras qui a coûté la vie à Dominique Bernard, Macron adressait un tweet d’Union sacrée aux personnels et aux élèves : « Vendredi dernier, alors qu’il tentait de protéger ses élèves, il est tombé sous les coups du terrorisme islamiste ».

 

Puis : « la Nation qui doit tant à l’Éducation Nationale est là pour vous. Debout » ; et encore : « le terrorisme islamiste a frappé ce qu’il tient, à raison, pour son plus grand adversaire : notre École ».

« Hussards noirs » d’une République guerrière et coloniale

Cette rhétorique guerrière, qui « entérine la vision des enseignantEs comme chair à canon du débat républicain » selon les mots de Johan Faerber1, est tout d’abord dangereuse : en exhibant les profs en étendards d’une République belliqueuse, elle les désigne comme cibles. Mais elle est aussi colonialiste : elle reconduit une logique « civilisatrice » directement héritée de l’alliage entre laïcité et colonialisme réalisé par l’école de Jules Ferry. Comme ces instituteurs de la IIIe République que depuis Charles Péguy on appelle les « hussards noirs de la République », tant à cause de leur habit noir faisant la nique aux prêtres de village qu’en raison du caractère missionnaire et civilisateur de la tâche qui leur était confiée d’aller répandre la bonne parole républicaine, en langue française obligatoire, aux enfants des campagnes comme à ceux des colonies, les profs de 2023 se doivent d’endosser le rôle de remparts de la République menacée.

Au service de la start-up Nation

Mais ils et elles ressentent davantage le mépris du Patron dégraissant le mammouth que la reconnaissance de la Patrie : car cette rhétorique de la République endeuillée, alors que le minimum de respect de la douleur et de l’effroi face à l’assassinat d’un prof sur son lieu de travail aurait exigé de marquer un vrai temps d’arrêt, c’est aussi celle du mépris affiché pour les personnels et les élèves. C’est ce mépris que dénoncent, ces derniers jours, les communiqués de plusieurs établissements, revendiquant le droit de retrait exercé par leurs personnels en raison des multiples incidents graves, intrusions, violences et agressions, qui émaillent leur quotidien depuis trop longtemps, et de l’absence de réponses autres que déni ou mensonges de la part des rectorats. Ainsi, les personnels du collège Jean Moulin d’Aubervilliers dénoncent la rhétorique fumeuse des hommages républicains et les réactions « indigentes et inhumaines » de l’institution face à une situation jugée catastrophique.

Car l’École, variable d’ajustement de l’économie capitaliste, manque de tout : de moyens matériels, de bâtiments salubres, sécurisés mais accueillants, de personnels de santé, de gestion, d’accueil et d’accompagnement, et bien évidemment, d’enseignantEs correctement forméEs, bien payéEs et dignement traitéEs. Les profs sont sacrifiéES… sur l’autel de la « start-up Nation », véritable école de rentabilité, de concurrence généralisée et de compétition surveillée.

Les valeurs républicaines : trier, Surveiller, Punir

Aux demandes légitimes des personnels, le Ministre répond par un discours exclusivement sécuritaire et répressif : « À un moment la tolérance ça va ! La bienveillance ça va ! Et le pas de vague c’est fini ! » a tonné Gabriel Attal. Et d’annoncer la sécurisation des établissements à coups de portillons automatisés, la transformation des profs et personnels en flics fouillant les sacs des élèves, l’incitation au signalement des récalcitrantEs à la minute de silence. Ces enseignantEs à qui le Ministère propose de signer un « Pacte », ne seraient-iels pas finalement ses « plus grands adversaires » ?

À cette mise au pas répond celle des élèves : Attal vient d’annoncer sa volonté de « sortir des établissements scolaires les élèves radicalisés », et 183 élèves, excluEs dans l’attente d’un Conseil de discipline pour avoir perturbé la minute de silence du 16 octobre, ne feront pas leur rentrée le 6 novembre.

Qui a tué Christine Renon ?

Ce n’est pas une minute de silence, mais un oubli signifiant qui a enseveli le nom d’Agnès Lassalle, et plus encore celui de Christine Renon, grande oubliée des hommages. Deux femmes dont la vie sacrifiée au travail ne mérite apparemment pas le grand nom d’héroïsme, et dont la mort a été condamnée au #pasdevague.

  • 1. Facebook, 14 octobre.