Publié le Samedi 19 juin 2021 à 10h00.

Aéronautique : la casse sociale en cours

La crise provoquée dans le secteur de l’aviation par la pandémie de Covid-19 a été une occasion « dorée » pour permettre au patronat de restructurer les entreprises, casser des conquis sociaux et répandre chômage et mauvaises conditions de travail. Le tout soutenu par un flot d’argent public : huit milliards d’euros annoncés par le ministre de l’Économie en juin 2020.

La pandémie de Covid-19 a eu comme effet collatéral la forte diminution des vols commerciaux. Même si les vols intercontinentaux subissent vraiment une baisse de trafic depuis mars 2020, ce n’est pas le cas des vols moyen-courrier, qui ont repris très vite, surtout aux États-Unis et en Chine. D’ailleurs, Airbus voit très peu de commandes annulées, et le carnet de commandes est plein pour presque 10 ans. Cette situation a été utilisée comme prétexte par toute la chaîne d’entreprises du secteur, fournisseurs, sous-traitants de services en ingénierie, ­constructeurs d’avions.

Hécatombe chez les fournisseurs et sous-traitants

Dès l’été 2020, on a vu les premiers PSE (plans de sauvegarde de l’emploi) et APC (accords de performance collective) arriver chez les fournisseurs et les sous-traitants en ingénierie. Le cas le plus emblématique était la société de services Derichebourg, dont les salariéEs ont subi un APC très lourd, avec des réductions de salaire d’environ 600 euros. Les 160 salariéEs qui ont refusé de signer leur nouveau contrat ont été licenciéEs sans ménagement. Les travailleurEs sous-traitantEs en ingénierie ont particulièrement souffert, parce qu’Airbus a arrêté de nombreux contrats du jour au lendemain. Chez AKKA, les salariéEs se battent contre un PSE agressif avec 308 suppressions d’emplois sur 1 024 salariéEs. Quant à ALTEN Technologies, le patron ne passe même pas par la voie légale du PSE pour licencier massivement : 205 emplois sur 2 100 ont été supprimés en un an pour des motifs autres qu’économiques. Chez les fournisseurs, on compte des PSE chez Cauquil, SIMRA, T-Système, une fermeture de site à Latélec et d’autres, dont on n’entend pas parler, si cela se passe dans des boîtes sans équipes syndicales.

La direction d’Airbus, en plus de la casse sociale qu’elle a induite chez les fournisseurs et les sous-traitants, a montré les dents à ses propres salariéEs. 5 000 suppressions de postes étaient prévues en France à l’été 2020. Ce chiffre a été revu à la baisse, en raison des aides de l’État à la recherche et de l’APLD (activité partielle longue durée). Les syndicats majoritaires, FO, CFE-CGC et CFTC, ont signé l’accord du PSE et de l’APLD. Les conditions du PSE étaient suffisamment intéressantes pour provoquer des départs massifs de salariéEs proches de la retraite et d’autres, qui avaient envie de quitter l’entreprise, ce qui a permis qu’il n’y ait pas de licenciements secs. Ceux et celles qui restent, vont devoir faire le même travail avec moins d’effectifs. L’effet de cette situation pourrait s’avérer ­explosif dans l’avenir proche.

Les dispositions de l’APC sont rentrées dans l’accord APLD : la journée de solidarité sera désormais travaillée, et plusieurs primes liées à la production ont été intégrées au salaire, mais au rabais. L’horaire variable a été interdit. Les travailleurEs du Pôle peinture se sont mobililiséEs face à tous ces reculs sociaux.

Restructurations chez Airbus

La direction d’Airbus a aussi lancé le projet de restructuration du secteur des aérostructures, qui sont en partie le métier de Stélia, filiale d’Airbus, et des usines Airbus Nantes et Saint-Nazaire. Le lien de cette nouvelle société avec Airbus n’est toujours pas clair. Le risque pour les salariéEs concernéEs sera de se retrouver constamment sous pression, par rapport à la comparaison de « compétitivité » avec Spirit, créée par Boeing dans une optique similaire, mais complètement autonomisée depuis longtemps. Rappelons aussi que Stélia a déplacé une bonne partie de son activité dans des « pays à bas coût », c’est-à-dire des pays où les salariéEs sont sur-exploitéEs. Ils externalisent aussi avec des usines de montage : en Chine, aux États-Unis, au Canada avec le rachat des installations de Bombardier pour la production de l’A220. 

FO, syndicat majoritaire dans plusieurs boîtes de production et à Airbus, et la CFE-CGC, dans les boîtes d’ingénierie, ont l’habitude de plusieurs années de gestion paternaliste, et ont appris à composer avec le patron et à « revendre » les accords qu’ils ont signés aux salariéEs. Ce modèle marchait tant bien que mal pendant les périodes de vaches grasses et de situation économique dynamique dans le Sud-Ouest, mais là, il devient un sérieux obstacle à la résistance à cette casse sociale.

Malgré cela, dans plusieurs boîtes, des luttes émergent et deviennent emblématiques, comme à Derichebourg, mais aucune n’a gagné pour l’instant. Des équipes syndicales combatives font ce qu’elles peuvent. La CGT est le seul syndicat s’opposant à la politique patronale implanté dans plusieurs entreprises de l’aéronautique. Avec la Coordination CGT Airbus et sous-traitants, les équipes CGT coordonnent les actions dans les sociétés d’ingénierie, et l’USTM31 chez les fournisseurs. Par contre, la faible implantation de la CGT et la difficulté générale, qui affecte le mouvement ouvrier dans sa totalité, avec la toute-puissance des FO/CFE-CGC, empêche l’émergence d’une riposte d’ensemble, seule à même à contrer les desseins patronaux.