Publié le Jeudi 27 juillet 2023 à 08h00.

Le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception

L’interdiction d’avorter remonte à l’Ancien Régime ; elle est réintroduite dans le code pénal napoléonien (1810). Maîtriser sa fécondité est un crime puni de prison. La 3e République aggrave encore les choses en adoptant des lois natalistes pour préparer ce qui sera la guerre de 1914. La seule résistance provient de petits groupes antimilitaristes qui font de la propagande pour la « grève des ventres » en diffusant des méthodes contraceptives, malheureusement peu efficaces. C’est contre elles que l’État prépare les lois criminalisant la contraception elle-même, adoptées en 1920-1923. 

Cet arsenal est férocement appliqué jusqu’aux années 1960, même si les femmes des couches favorisées peuvent trouver des «solutions», au prix fort. On atteint le pire en 1942, sous Vichy : peine de mort pour les « faiseuses d’anges »1. À la Libération, le droit de vote est accordé aux femmes mais l’Église veille sur les valeurs morales et le PCF stalinisé s’est totalement rallié à la politique nataliste de la France forte.

Naissance d’une lutte féministe

Face à l’hostilité militante des deux principales forces du pays, les souffrances qui découlent chaque année des centaines de milliers d’avortements clandestins finissent par mobiliser. Les premières féministes et une petite partie du corps médical s’accordent pour initier un timide mouvement de propagande pour le « planning familial », alors que les premières pilules contraceptives sont déjà disponibles dans des pays voisins. Minoritaires dans leurs propres partis, le gaulliste Lucien Neuwirth et la communiste Marie-Claude Vaillant-Couturier réussissent en 1966 à convaincre de Gaulle de légaliser la contraception. Après un dur débat parlementaire, l’accès à la contraception sur prescription médicale est voté en décembre 1967 mais l’avortement reste strictement prohibé.

Au lendemain de Mai 68, le premier mouvement de libération des femmes fait surface en 1970, contribuant au Manifeste dit des 343, «Notre ventre nous appartient», qui libère la parole : l’ampleur des avortements clandestins apparaît en pleine lumière. Les forces traditionnelles, Planning familial et Association Choisir, évoluent rapidement. À l’automne 1972, à Bobigny, l’avocate Gisèle Halimi défend le droit à l’avortement d’une mineure, Marie-Claire Chevalier, qui est acquittée. Les échos du procès font office de passerelle entre la jeunesse radicalisée et les femmes plus âgées, qui trouvent enfin la force de parler des souffrances subies.

La création du MLAC

La création du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), en avril 1973, découle d’une alliance inédite : des associations féminines, le Planning, Choisir, le Groupe Information Santé, mais aussi la Mutuelle générale de l’éducation nationale, la CFDT (avec Jeannette Laot) et… quasiment toutes les organisations d’extrême gauche. Le PCF et ses annexes s’y opposent, alors que la mobilisation se développe de partout. Le MLAC revendique la pratique de gestes illégaux, nécessaires à la santé des femmes2. Le film Histoire d’A, de Marielle Issartel et Charles Belmont est interdit3 en novembre 1973, mais connaît une diffusion militante massive. 

L’afflux aux permanences du mouvement montre l’ampleur des besoins, légitimant les pratiques illégales ; voyages collectifs en Grande-Bretagne ou en Hollande ou avortements sur place avec l’appui de professionnelEs militantEs (méthode Karman, par aspiration). Les groupes locaux du MLAC se multiplient, peut-être 300 ou 400, avec une densité particulière dans les petites villes mais aussi dans de grandes entreprises féminisées (Chèques postaux). 

L’activisme des comités rencontre des échos de masse à chaque apparition. En 1974, les liens se multiplient encore vers la classe ouvrière, à Besançon (Lip) comme à Romans (industrie de la chaussure).

Vers la légalisation

Les débats d’orientation du mouvement ont à peine eu le temps d’apparaître que le nouveau président Giscard d’Estaing charge Simone Veil, ministre de la Santé, de liquider l’archaïsme que représente désormais l’interdiction de l’avortement. La légalisation se fait en un temps record, dès janvier 1975 mais pour un temps limité : une tolérance, pas un droit, non remboursé par la Sécu, limité à la dixième semaine de grossesse et soumis à l’accord parental pour les mineures. D’où une série de batailles avec l’Ordre des médecins, la reprise des avortements militants en 1976 et maintes mobilisations, mixtes et non mixtes… 

Chacun et chacune comprend donc que cette victoire des femmes a reposé sur un rapport de forces qui reste à défendre quotidiennement.

  • 1. Voir le film Une affaire de femmes, de Claude Chabrol, 1988. 
  • 2. Annie Colère, de Blandine Lenoir, 2022.
  • 3. Histoire d’A, de Marielle Issartel et Charles Belmont, 1974. http://www.film-document…